I. L'Aube

948 73 92
                                    

Jade se réveilla en sursaut, secouée d'un spasme et d'une brusque envie de vomir. Ses yeux émeraude grand ouverts cherchèrent aussitôt une source de lumière. Elle avait peur du noir. Tremblante et ruisselante de sueur, la jeune femme se redressa dans son lit défait. Elle tenta de réguler sa respiration qui s'était brutalement emballée dans son sommeil. Son cœur cognait fort dans sa poitrine, meurtrissant ses côtes frêles.

Encore un cauchemar.

Jade ne cessait d'en faire, nuit après nuit. Elle revivait toujours les mêmes choses, subissait toujours les mêmes peurs. Depuis des années. Uniquement à cause de lui.

Elle essuya son front humide et son regard s'attarda sur la pièce dans laquelle elle se trouvait. C'était une petite chambre de bonne, à peine plus grande que celle de Helen, la domestique de la maison. Du papier peint clair, défraîchi et aux motifs floraux, commençait à se décoller des quatre pans de mur. Une petite armoire en noyer était posée dans un coin, accueillant le peu d'affaires que Jade avait en sa possession : une demi-douzaine de robes, quelques gilets et manteaux, deux paires de chaussures et de la lingerie bon marché. Sous l'unique fenêtre de la pièce, un bureau en hêtre était installé, accompagné d'une chaise branlante et usée. Non loin du petit lit dans lequel elle essayait tant bien que mal de dormir, il y avait un lavabo en grès émaillé contre le mur, avec une minuscule table en chêne sur laquelle reposait un verre dépoli, une serviette couleur crème et un petit panier réservé à ses affaires de toilette.

Jade cligna des yeux. Un rayon de soleil traversait les persiennes en bois usé, révélant un mince filet de poussière, telle une lueur divine au cœur de l'obscurité du monde. En massant sa nuque endolorie, Jade se redressa dans son lit. Il devait être très tôt. Comme d'habitude. Elle se couchait tard, comme l'exigeait son emploi, et se levait aux aurores, réveillée par ses atroces rêves. De grands cernes violets se dessinaient sous ses yeux secs, mais elle parvenait toujours à les dissimuler avec une couche de poudre, soigneusement posée sur sa peau blanche comme la neige.

Ensommeillée, elle sortit néanmoins de ses draps humides et tâtonna jusqu'à son petit lavabo, au-dessus duquel était accroché un miroir circulaire à l'encadrement doré, l'un des seuls objets que Jade affectionnait dans cet espace minuscule. Elle fit couler un peu d'eau dans une petite bassine en fer pour ne pas en perdre une goutte, et commença sa toilette rudimentaire. L'eau glacée – car il n'y avait rien d'autre – lui fouetta la peau, mais la vivifia. Elle se nettoya le visage, les aisselles et les mains avec un morceau de savon, qui dégageait une forte odeur d'olive.

Une fois rincée, Jade se tamponna le visage avec la serviette et leva le regard sur son reflet. Elle avait le teint très pâle, presque transparent. Sa peau était couverte de taches de rousseur et ses prunelles émeraude, perçantes, illuminaient son visage fin. Jade ressemblait à une poupée de porcelaine, mais sa beauté résidait avant tout dans son imposante chevelure. Rousse, flamboyante et ondulée, c'était une magnifique cascade auburn, scintillant de mille feux. Pourtant, Jade était mince, trop mince. À certains endroits de son corps filiforme, les os lui collaient presque à la peau. Ce n'était pas faute de manger chaque jour. Toutefois, cela ne suffisait pas et dans cette maison, seule Helen s'était rendue compte de sa maigreur. Jade se faisait vomir. Et ces derniers temps, elle le faisait plus que de coutume. Se vider de ses tripes jusqu'à ce qu'il ne restât plus qu'une bile, incolore et brûlante. Jusqu'à ne plus avoir la moindre force.

Face à la glace poussiéreuse, elle tenta d'arranger ses cheveux sauvages et rebelles, laissant ses doigts fins glisser entre ses épaisses mèches, semblables à des flammes ondoyantes. Elle évita du regard ses épaules et son cou trop maigres, préférant jeter un bref coup d'œil à sa poitrine, l'une des rares parties de son corps qu'elle arrivait encore à supporter. Le léger tissu de sa tenue de nuit révélait ses seins, ronds et fermes, qui s'étaient développés tardivement. Puis, dans un long soupir, Jade attrapa une robe sombre, peu seyante et légèrement élimée dans l'armoire et l'enfila avant de chausser une paire de bottines noires, cirées quelques jours auparavant.

La Flamme | PEAKY BLINDERSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant