chapitre 1

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PEUR: Préjuger qui Empêche d'Utiliser la Raison

PERDU: Peur d'Être Radicalement Désorienté dans un Univers





Il était tôt mais Duncan était tellement impatient. Il n'avait pas dormi de la nuit. Le soleil faisait à peine son apparition, que le jeune adolescent était déjà habillé prêt à partir. Il regarda pour la énième fois dans ses poches s'il avait bien pris ce qu'il fallait pour payer l'homme qui tenait le magasin.
8h15. Il savait que l'heure de la pendule accrochée dans la cuisine était la bonne. Son père, tous les soirs avant de se coucher, l'ajustait à la seconde près. Comme si cela en était devenu un rituel.
C'est bien la première fois qu'il était en avance sur son temps. Il avait tout calculé, s'il partait à 8h30, il arriverait au magasin pour 9h, pile à l'ouverture. Dommage qu'on ne soit pas un jour de semaine. L'ouverture se serait faite à 8h30 et il aurait pu partir il y a déjà 15 minutes. L'attente n'aurait pas pris autant de place dans sa matinée.
8h20, « Et puis merde » pensa-t-il .
Il fallait qu'il parte . Il espérait que le fait de marcher jusqu'à sa destination calmerait son obsession. Au pire des cas, il aurait à patienter 10 minutes devant le rideau de fer avant que le propriétaire n'arrive. En plus,  il était certain qu'il n'aurait pas à attendre son tour, il était  sûr qu'il serait le premier à être servi.
Dernier check-up avant de passer le pas de la porte . Duncan  palpa ses poches.
«  Clé de la maison ? OK. Ma carte bleue et le chèque ? OK. Papier ? OK. Téléphone portable ? OK.»  Il passa en revue tous les éléments qu'il ne fallait absolument pas oublier avant de prendre la route. Une fois sa manipulation terminée, il passa le seuil de la porte d'entrée en prenant soin de la refermer délicatement, pour ne pas réveiller son père, qui dormait encore à poings fermés. Son allure était plus rapide que d'habitude. Il faisait penser à un jeune qui était à deux doigts de louper son train. Sa démarche trahissait une certaine hâte, jugée sous le regard des vieillards lève-tôt faisant leur sortie matinale. Malgré son empressement, il se détourna, tout de même, de quelques rues qui pourraient lui faire gagner des minutes. Mais ça, il l'avait déjà prévu. Depuis un certain moment, il évitait de passer devant le cimetière et l'église de la ville, et encore moins devant l'hôpital.
« C'est encore trop frais, désolé » dit-il dans un léger murmure en levant la tête au le ciel, comme une prière éphémère.
Sans qu'il ne s'en rendait compte, sa marche « rapide » faisait perler des gouttes de sueur qui commençaient à dégouliner de son front. Sa respiration était intense et bruyante. Arrivé enfin au dernier virage, avant d'atteindre son but, son dos était trempé, le t-shirt qu'il portait, lui collait à la peau. Cette sensation aurait été désagréable si ça avait été un autre jour, mais aujourd'hui, cela annonçait un labeur à la finalité parfaite à ses yeux.

Il avait l'impression que le temps s'étirait, rendant les secondes interminables. Cela faisait à peine deux minutes qu'il était arrivé, que son téléphone portable était déjà dans ses mains pour vérifier l'heure : 8h52. Il expira fortement en tournant de gauche à droite sa tête  en signe de désapprobation. Il commença à faire les cent pas, pour enfin s'immobiliser.
«  Arrête ! Putain c'est une bonne journée. Arrête de faire ton gosse de riche » se moralisa-t-il.
Il se mit à fixer la devanture du bâtiment. Le fameux rideau de fer était bien présent, ancré dans le sol et verrouillé par un gros cadenas en son centre. Au-dessus, se dressa l'enseigne sur fond orange avec une écriture gothique blanche « Mobile SCOOT. » Quand son regard se posa dessus, il avait ce visage que pourrait avoir un enfant devant son cadeau de Noël ou celui d'un footballeur après un match dûment gagné avec les bras tendus, attendant qu'on lui remette la coupe entre les mains.
« Enfin... enfin » se disait-il avec une certaine émotion.
- Pardon... un homme était dressé derrière lui, attendant qu'il s'écarta.
Duncan obtempéra. C'était lui ! Le gérant de la boutique 
- Bonjour monsieur, je suis venu pour vous vendre un scooter.
L'homme s'arrêta brusquement et tourna la tête dans sa direction. Il ajouta :
- Vous vendre ? M'acheter plutôt ?
Duncan réalisa son lapsus, causé par l'excitation. Il se reprit aussitôt :
- Euh... Oui ! Pardon, vous acheter un  scooter !
- Tu dois être Duncan, c'est ça ? Ta grand-mère m'a appelé hier pour me dire que son petit-fils viendrait aujourd'hui. Elle a ajouté : sûrement dès l'ouverture. Elle n'avait pas tort.
Duncan lui répondit simplement avec un sourire gêné.
«  Mamie...pourquoi t'as fait ça, je suis grand maintenant, t'as pas besoin de préparer le terrain à chaque fois que je dois me débrouiller tout seul ! » S'insurgeait-il.
Le vendeur se redressa avec la poignet du rideau de fer dans les mains et, dans un effort pour le remonter à son maximum, il ajouta :
- Laisse-moi juste le temps de tout allumer et de m'installer et je suis à toi.
Une fois la porte vitrée ouverte, l'homme invita Duncan à entrer à l'intérieur. L'adolescent s'exécuta dans la foulée. Tout de suite, l'odeur le frappa, celui de l'odeur du neuf et du caoutchouc des pneus, qui régnait dans la pièce. Tous les deux roues brillaient de mille feux dès que les néons s'allumèrent. Les casques étaient rangés sur des étagères, classés par taille, aussi impeccables les uns que les autres. Duncan avait l'impression qu'ils étaient lustrés. Il vagabonda entre les véhicules et les étagères, balançant son regard dans tous les sens, ne sachant plus où le poser.
- Bon, allez ! A nous ! Le ton était donné. Enfin du concret.
- Je voudrais vous prendre le Gilera, dit-il posément, sûr de lui. Il pointa du doigt le scooter en question.
L'homme fut pendant un bref instant figé, puis annonça :
- Ah ! Tu sais ce que tu veux.
Duncan acquiesça d'un signe de tête accompagné d'un nouveau sourire. Pour enfin ajouter à sa demande :
- Et avec, je vais vous prendre un manteau renforcé en M, le casque violet avec les têtes de morts enflammées sur les côtés et une paire de gants de couleur noire en taille 7.
- Très bien, au moins ça ira vite. Quand j'ai eu ta grand-mère au téléphone, j'ai cru que j'allais passer toute la matinée à t'aider à choisir ton petit bolide. Du coup, c'est bien, tu me fais gagner du temps et de l'argent, conclut-il en rigolant.
Une fois dans la rue, il enfourcha son « petit bolide », aussitôt une vague appréhension apparue. Une peur. Il avait presque l'impression que son cerveau lui disait : « Ce n'est peut-être pas le moment »
Il  la chassa de sa tête pour évacuer ce frein imaginaire.
- T'as entendu jeune homme ?!
Duncan redressa la tête vers son interlocuteur. Il n'avait rien compris à ce qu'il lui avait dit.
- Quoi ? Lança-t-il, les yeux écarquillés, surprit de ne pas l'avoir entendu.
- N'oublie pas de mettre ton casque ! ordonna le vendeur. Et mets tes gants. T'as que le manteau sur le dos, portant je te vois déjà prêt à partir.
Duncan s'exécuta, ses pensées l'avaient déconcentré et stoppé inconsciemment dans ses mouvements pour s'équiper.
- Bon allez gamin, reprit l'homme avec un sourire, fais attention à toi et profite. C'est le début de l'indépendance !
Duncan partit après un bref remerciement. Au début sa conduite fut fébrile mais après avoir passé son premier virage, son assurance prit aussitôt le dessus.
Il roulait maintenant au maximum, à 50 km/h. Les voitures le frôlait pour le doubler mais il s'en fiche. «50 c'est très bien» pensait-il. Il était fier. Il avait économisé pendant 6 mois, depuis qu'il avait commencé son CAP en alternance en menuiserie. Comme cadeau d'anniversaire, ses grands-parents avaient participé en lui donnant le chèque qu'il avait pris ce matin. Cela fait à peine cinq minutes que Duncan était sorti du magasin dans lequel il venait d'acquérir son scooter, qu'il se pressa déjà pour arriver chez Kill, son meilleur ami. Tout le monde l'appelait Kill (parce que ça faisait plus classe). Son vrai nom était Killian. Il se voyait déjà pousser Kill pour qu'il en acheta un, pour monter ensemble un groupe de « bikers ». Mais avant, il fallait qu'il accepta, et pour accepter il fallait qu'il soit tenté. Duncan voudrait d'abord le faire monter à l'arrière de son bolide. Sûrement que sa mère voudra bien lui prêter le casque de son père, celui qu'il avait oublié avant leur divorce. Il savait déjà où l'emmener : « Dans leur repère», qui était en fait un point panoramique abandonné se trouvant dans les hauteurs de la ville. Là où les habitations s'arrêtèrent et laissaient place à la forêt. Pour arriver à leur « QG » il n'y avait qu'une seule petite route sinueuse que personnes ne prenaient et qui était à l'image d'un gruyère, remplie de nids de poule.
« Faudra qu'on fasse gaffe de ne pas aller trop vite en slalomant entre les trous » se disait Duncan en se préparant un cahier des charges imaginaire.
Cet endroit n'avait aucune valeur pour aucuns autres individus, mais pour eux c'était leur antre, leur domaine. Ils s'étaient appropriés le territoire en tendant une bâche en biais, partant du sol en cas de pluie, plus une en dessous de celle-ci , directement sur le sol. Dans un sac en plastique, caché dans le creux d'un arbre mort couché, se trouvaient des coussins, pour s'assoir. Parfois ils passaient des nuits entières là-bas à essayer de dormir tant bien que mal. Mais ces nuits-là se transformaient plus en discussions longue durée qu'en repos. Et parfois cela était nécessaire, surtout dans les moments de douleurs, comme lors des fois où Kill fuyait sa maison parce que sa mère, encore trop alcoolisée, le rabaissait plus bas que terre, ou que l'abandon de son père lui pesait trop sur la conscience. Et la fois, plus tragique, où la mère de  Duncan était décédée de son cancer de manière horrible et douloureuse. Cette endroit-là servait à ça aussi, à se libérer et se vider de toutes ces charges. Mais là, Duncan veut y aller pour fêter ce début «d'indépendance »,      
Plongé dans ses pensées, Duncan emprunta une rue pentu. Il arriva à mi-chemin de la prochaine intersection et évita de peu une voiture qui venait d'apparaître. Elle sortait de son garage qui donnait directement sur la route. Celle-ci pila à l'arrivée du scooter. Duncan revint brutalement à la réalité et entreprit rapidement, avec son deux-roues, un arc de cercle autour de la voiture afin de l'éviter. Arrivé à l'intersection, il marqua un temps d'arrêt pour reprendre ses esprits.
– Putain mais quel connard ! Il peut pas regarder avant de sortir de son garage!! Braya t-il à travers son casque.
Une fois calmé, il reprit la route.
A la hauteur de la rue Fargui et réalisa qu'il est déjà arrivé.
«Sérieux déjà? Ca fait à peine 30 secondes que je suis parti» pensa-t-il. Mais après avoir pris en compte le fait qu'il n'était plus à pied mais avec sa nouvelle acquisition et qu'il se plongea systématiquement dans ses pensées quand il se déplaça, cela lui parût logique. Le temps lui sembla naturellement moins long.
Il se gara devant l'entrée de l'immeuble. En mettant en équilibre son scooter sur sa patte en ferraille, il s'empressa de rejoindre la porte de l'immeuble. Dans sa petite course entre son bien et la porte d'entrée, il remarqua qu'il faisait plus sombre que tout à l'heure.
« J'espère au moins qu'il ne pleuvra pas.»
La tête toujours dans son casque, il arriva à la porte, tapa le code puis entra sans jeter un seul regard dans le ciel.
Dans l'ascenseur, il prit enfin l'initiative de retirer cette faible carrosserie de sa tête et ses gants. Enfin, devant l'appartement de la mère de Kill, il toqua à la porte. Personne ne répondit. Il tambourina un peu plus fort. Rien. Il sonna avec insistance. Toujours personne. Duncan sortit son portable de la poche de son pantalon. Après avoir sélectionné le contact de son ami, il porta le téléphone à son oreille. Mais les intonations de l'appel ne retentirent pas. Seul deux bips consécutifs se firent entendre. Il éloigna de son crâne le portable et regarda l'écran :
« Pas de signal »
– C'est pas vrai ça ! Réseau à la con, bougonna-t-il.
  Après plusieurs tentatives, il décida de redescendre à l'extérieur pour capter un minimum. Pendant que l'ascenseur se mit en mouvement pour rejoindre le rez-de-chaussée. Duncan ne quitta pas des yeux son portable dans l'espoir que le symbole du réseau réapparut.

C'était peine perdue et il le comprit rapidement. Il rangea alors son téléphone, par dépit. Il leva la tête vers l'indicateur des étages. Plus que six. Le jeune homme, impatient, s'occupa l'esprit en regardant autour de lui: le carrelage cassé, les parois cabossées, idem pour les portes coulissantes et ce néon fébrile qui n'arrêtait pas de s'allumer et de s'éteindre, accompagné d'un son de crépitement électrique. Il avait horreur de ce genre de bruit, l'impatience dont il fit preuve auparavant évoluait sous forme de stress avec cette ambiance rythmée par cette lumière. «D'ailleurs, pensait-il, ce n'était comme ça tout à l'heure.» Enfin, il faut dire qu'il n'avait pas fait vraiment attention à l'agencement de cette cabine mais quand même, ce bruit insupportable, il l'aurait remarqué. Par curiosité, il lança un bref regard autour de lui et bloqua brutalement sur son reflet que lui renvoyait le miroir fixé sur une des parois de l'habitacle.
Les yeux grands ouverts, il avait beaucoup de mal à se reconnaître, pourtant il n'y avait que lui dans l'ascenseur. Il se rapprocha en portant sa main droite à la peau si blafarde que lui renvoyait cette glace. On dirait un mort, mais vivant. Le contour de ses yeux étaient creusés et ceux-ci étaient vitreux. Ses lèvres étaient aussi pales que son visage. Il plongea sa main avec nervosité dans la poche de son manteau pour extraire une nouvelle fois son portable, et avec l'écran, il tenta de deviner son reflet. Mais cela devenait vite difficile, avec le jeu de lumière créé par ce néon en fin de vie, c'est bien trop difficile de voir nettement. Quand il serait en bas, il se regardera dans le rétro de son scooter. 

« Faut que je sois sur. » pensa-t-il 

 Après avoir rangé son téléphone dans la poche, il releva la tête, toujours en direction de son reflet. Après quelques secondes, immobile, Duncan crut apercevoir un sourire se dessiner sur les lèvres de son double. Il s'approcha une nouvelle fois, les yeux froncés, se demandant si c'était lui qui hallucinait ou si c'était bien réel. Plus il se rapprochait, plus le sourire s'accentuait, laissant entrevoir des dents marrons claires, noires à certains endroits, toutes pourries. Le scootériste marmonna:

– Qu'est-ce que c'est ce déli.....
Son double se jeta sur lui, sortant du miroir, bravant la réalité, l'agrippant à la gorge. Il le plaqua contre le mur. Au même moment, l'ascenseur se stoppa et les portes coulissantes s'ouvrirent. Duncan se délivra de son étrangleur en lui assénant un coup de casque. Puis il prit la fuite, sortit en furie du bâtiment, courut jusqu'à son scooter. Pris de panique, dans des gestes désorganisés, il monta sur son deux-roues, prit ses clefs, mit le contact, démarra et partit en trombe. Sur la route il zigzagua pendant plusieurs secondes, le temps qu'il réussisse à remettre son casque.
« La sécurité avant tout, on ne sait jamais si la police est dans le coin » prit-il de se dire malgré la situation.
Arrivé devant le pavillon de son père, il reprit sa respiration. Il repensa à sa fuite. Le mort-vivant lui avait crié un mot ou une phrase, il ne savait pas trop. Même en réfléchissant bien ça restait très vague. Ca ressemblait à «Rien vu», comme imposer un acte en guise de menace: «T'as rien vu.» Bref, il fallait qu'il en parle à son père, même s'il le prendrait pour un fou, ça ne serait pas la première fois de toute de façon. Depuis la mort sa mère, ce n'était plus un fossé qui les séparait mais plus un univers.
Il descendit de son deux roues et le mit sur sa béquille. Avant de couper le contact, il regarda le cadran du kilométrage pour observer l'heure qui était indiquée: 17h 45.
«17 h 45? C'est pas possible qu'il fasse aussi sombre en été à cette heure.» pensait-il.
Il voulut retirer son casque mais un hurlement provenant du pavillon le fit stopper net son geste. Il se retourna brutalement en direction de la porte d'entrée et se précipita vers celle-ci. Il l'ouvrit violement.

Face à soiWhere stories live. Discover now