Face à soi

Chapitre 8

Duncan ouvrit les yeux dans une inspiration bruyante. Il se mit assis aussitôt. Des flash-back lui assainirent le crâne. Les derniers instants avant la chute revinrent le hanter. Immédiatement, il se releva, puis observa autour de lui, à la recherche de la menace. Rien. Malgré l'absence de danger, Duncan se sentait comme une proie traquée. Il ne pouvait plus rester sur place, il fallait fuir, encore. Avant de prendre ses jambes à son cou, il lança un dernier regard en direction de la lumière que Kill manifestait, elle n'avait pas disparu, il restait encore une chance !

Il se mit à courir rapidement, en suivant la route sur laquelle ils se trouvaient, Au premier abord, l'itinéraire qu'il empruntait le faisait s'éloigner de son objectif. Mais il fallait se soumettre à ce choix s'il voulait rester dans le peu «d'éclaircies» que donnait ce monde. Malgré une foulée assez rapide, transporté par l'adrénaline et la peur, il redoutait que son double ou quelque chose d'autre le suive. À plusieurs reprises il jeta un coup d'œil par-dessus son épaule. À chaque mouvement de tête, il s'apercevait que les ténèbres devenaient maîtresses après son passage. Ça le poussait à accélérer sa cadence. Prendre des raccourcis le tentait de plus en plus, mais son appréhension était toujours plus grande que son envie. S'il bifurquait sur sa gauche et rentrait directement dans la forêt dense qui jalonnait sa route, il aurait juste à se précipiter droit devant lui, faisant face à la montée de la plaine, donnant directement au point panoramique, et en moins de temps il aurait rejoint Kill.

« Arrête ! Fais pas le con. Les risques sont trop grands. Continue sur ta route, s'il y a un danger, au moins là, tu le verras venir ! »

Il se répéta son auto-persuasion en boucle. Pendant un moment, il oublia la menace qui pouvait venir derrière lui.

Il jeta sa tête par-dessus son épaule brusquement et tint cette position tout en continuant sa course, pendant quelques secondes. Pendant ce court instant où son regard se perdait dans la pénombre « mangeuse d'espace », une sensation froide humide et désagréable commença à le ralentir. Ses pieds furent bientôt englobés par cet élément glaçant. Le temps qu'il porte son attention dans le sens de la marche, il avait déjà fait une dizaine de pas.

- Quoi ?!... Qu'est-ce que c'est ce bordel !

Normalement, en suivant le chemin sur lequel il se trouvait, il aurait dû se diriger vers un pont pour rejoindre les hauteurs de la forêt et pas à CE lac. Cet endroit correspondait au centre même des bois qu'il voulait absolument éviter. Une fois de plus, le temps et l'espace furent corrompus. Il pointa ses yeux machinalement autour de lui. Les arbres, ce point d'eau, oui ! Il était bien là où il ne devrait pas être

- Putain ! Merde, merde ! Duncan lança des injures à tue-tête en basculant sa tête de droite à gauche, à la recherche d'une logique toujours inexistante.

La panique s'accrut en lui. Il continua à lancer des insultes en l'air, tout en rebroussant chemin, à l'aveugle, sans se retourner. Mais une voix reconnaissable retentit à l'autre bout de la rive. Duncan cessa tout mouvement et porta son attention sur la possibilité d'une présence alliée :

- Eh ! Duncan ! C'est moi ! Yo !

Duncan plissa les yeux, et commença à voir apparaitre une silhouette au travers de ce clair-obscur. Apres un court instant, quelques rayonnements, encore timides, prirent l'ascendant, laissant Duncan voir enfin son ami. Il en avait les larmes aux yeux :

- Yohan...dit-il d'une voix à peine perceptible.

Il commença à avancer devant lui sans prêter attention à la profondeur de l'eau de plus en plus présente à chaque pas. Mais cela ne posait aucun problème, il savait nager. De plus, il connaissait chaque recoin de ce lac. La dernière fois qu'il avait mis les pieds ici, ce fut... :

«... Le jour où j'ai promis à papa que j'irai voir maman... »

Cette pensée était venue le frapper comme un boulet de canon, à lui en faire mal au bide ! Il marqua un nouvel arrêt. Malgré la douleur qu'il ressentait, il resta à flot. Ses habits devenaient un poids supplémentaire, dans cette eau. C'était avec plus d'entrain qu'il gigotait ses membres avec force :

- Duncan, je suis là! Il fit un mouvement de bras pour se diriger vers cette deuxième voix qui se trouvait à l'extrémité gauche du point d'eau. C'est Will. Annonça une nouvelle fois cette dernière.

La respiration de Duncan devenait plus forte. Et avant qu'il puisse réaliser ce qui se déroulait, une troisième voix se manifesta à l'extrémité droite :

- OH ! Duncan, tu m'as oublié ? C'est BED

Puis une quatrième se manifesta à l'emplacement où il se trouvait, au départ, au moment où Yohan était apparu :

- Mec ! C'est AD ! Tu nous as rejoints ? Tu devrais pas aller voir ta mère qui va mourir, AUJOURD'HUI !? Tu ne devrais pas être là, avec nous !

Duncan commençait à fatiguer et rencontrait des difficultés à garder la tête hors de l'eau. En plus des douleurs physiques, une évidence terrible commençait à naître dans son cerveau. Avant qu'il tenta quoique ce soit pour sortir de cette flotte pour sauver sa peau. Il savait qu'il était voué à subir cette nouvelle épreuve chaotique et déroutante.

Face à cette situation, la peur était présente, plus que jamais. Il la sentait au plus profond de lui, à lui en ronger les intestins. Le voilà coincé. Avant même qu'il puisse élaborer un plan ou quelque chose qui pourrait s'y apparenter, les quatre protagonistes se mirent à rentrer dans le lac, en silence. D'abord en marchant puis en nageant sans aucune difficulté avec une synchronisation parfaite. Leurs visages renvoyaient une neutralité puissante. Arrivés à quelques mètres de distance de Duncan, tous se mirent à répéter une phrase en chœur d'une seule et même voix :

- Nous sommes présent YO, WILL, BED, AD. Tu nous as rejoints et tu as tué ta mère. Tu as fait ton choix, nous faisons le nôtre. Ton tour est venu, tu vas mourir, tu nous appartiens. Tu es à nous.

Chacun d'eux gagnait du terrain dans sa direction, accompagné d'une phrase annonciatrice de leur intention envers lui. Duncan, pivota dans toutes les directions, cherchant quelque chose ou quelqu'un pour lui venir en aide :

- Au secours !! AU SECOURS !!

Malgré toute son énergie à rester la tête hors de l'eau, à trouver un plan et une aide, la finalité serait la même. Ils étaient trop proches désormais pour qu'il puisse être extirpé de ce piège à loup. Les protagonistes, arrivés à son niveau, marquèrent une pose. Tous étaient immobiles à quelques centimètres de Duncan, chacun affichant un sourire qui lui rappelait celui de son « double cadavéreux ». Le silence était puissant, Duncan osa à peine bouger face à eux, luttant contre la noyade. Chacun leva le bras en l'air, lentement, laissant rompre le silence par l'eau qui perlait et glissait sur leur membres. Et ils l'abattirent sur Duncan d'un seul coup, avec violence et précipitation, avant de répéter en hurlant de la même manière tout aussi grave et désincarnée que « Lui ».

- A NOUS !!!

Il fut tiré immédiatement par le fond, dans les profondeurs du lac.