Chapitre 1-2

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Je fus surprise de trouver Paolo devant la porte. Avec un sourcil levé, l'air méfiant, je sortis sur le perron de la maison en prenant soin de bien refermée derrière moi.

— Hey, salut, je croyais que tu étais de nuit aujourd'hui, déclarai-je à voix basse.

Paolo et moi nous connaissions depuis l'enfance, il faisait partie de la famille. C'était un des hommes les plus importants de ma vie, mon pilier, mon âme sœur. Agent de probation, nous avions l'occasion de travailler souvent ensemble.

Mon ami gonfla ses épaules puis posa ses mains sur les hanches, l'air embarrassé. Il était de taille moyenne, la peau hâlée comme moi, le visage carré et très bien bâti. N'importe qui se sentait en sécurité près de lui. En effet, il dégageait une aura douce et protectrice.

— Paolo ? insistai-je maintenant inquiète.

— Désolé pour le dérangement. Je sais qu'il est tard, mais j'ai besoin que tu acceptes une mission sensible.

Je relâchai mes épaules et m'autorisai à respirer de nouveau. Je devinai que Paolo sollicitait mon aide pour un ex-détenu. Ce genre de demande n'était pas inhabituel.

Je croisai mes bras sur ma poitrine.

— Bien sûr. Tu sais que tu peux compter sur moi. Je t'écoute.

Mon ami détourna son regard sur la rue bordée de modestes pavillons coloniaux où des enfants faisaient du vélo et de la trottinette. Il y avait du monde dehors ou aux fenêtres en cette douce soirée de printemps. East Harlem était un quartier densément peuplé d'une communauté latine où régnait la solidarité entre voisins.

Mal à l'aise, Paolo descendit une marche du perron et tira sur la racine de ses cheveux noirs et épais. Je fronçai les sourcils, quelque chose clochait. Le jeune homme revint sur moi, le front froissé :

— Écoute, Blue, commença Paolo qui avait du mal à choisir ses mots. Il s'appelle Desya, Desya Olsen, il a trente ans et il vient de sortir de prison ce matin.

Mon ami marqua une pause en me regardant avec un drôle d'air. Je hochai la tête pour l'inviter à poursuivre, mais il se pinça les lèvres en secouant la tête. Je tentai de le rassurer avec mes mots :

— Tous les anciens détenus que tu m'as envoyés jusqu'à présent se sont parfaitement adaptés au programme et aux groupes de paroles que j'anime. Alors, dis-moi ce qui est différent, aujourd'hui.

Paolo passa une main sur son visage avant d'esquisser un sourire nerveux :

— Olsen est un peu différent. Il a fait cinq ans de taule pour incitation à la haine raciale et agression. C'est un extrémiste prônant la supériorité de la race blanche.

Un frisson irrépressible me parcourut. Dans le silence qui s'épaississait entre nous, mes pensées se mirent à tourbillonner. Mon ami venait de lâcher une bombe. Il y avait des limites que je m'étais fixées dans mon travail et ce type en faisait partie. Je pris une grande inspiration avant de refuser la mission puis ajoutai :

— Je ne peux pas redonner la vue à un aveugle, Paolo, non, je ne peux pas faire de miracle.

Je resserrai mes bras sur ma poitrine avant de jeter un coup d'œil vers la porte. Mon ami remonta vers moi pour se rapprocher. Il ne comptait pas en rester là.

— Blue, je ne te demanderais pas ça si je n'avais pas entrevu quelque chose tout au fond de lui lorsque j'étais avec lui, tout à l'heure.

Paolo écarta les bras de son corps en poussant un petit grognement. Il ferma ensuite ses paupières de toutes ses forces. Lorsqu'il les rouvrit, la supplique dans son regard me fit chavirer. Ce fut à mon tour de détourner les yeux sur la rue.

— J'ai aidé tous ces gens comme j'ai pu. Je t'ai toujours fait confiance, mais là, tu m'en demandes trop. Je refuse de fréquenter ce genre de personne.

— Blue, il n'y a que toi qui peux relever ce défi.

— Non !

— Notre Dame de Guadalupe ne peut pas être d'accord avec ton choix. Elle voudrait que tu lui viennes en aide.

Je revins brusquement sur Paolo avec un air de reproche en le pointant de mon index.

— Je t'interdis de la mettre là-dedans. Ne joue pas avec ça, pas avec ma foi.

— Et pourtant ! On nous explique depuis tout petit que nous devons aider notre prochain, pardonner les péchés. Blue, tu ne peux pas abandonner une brebis égarée. Tu as choisi d'être au service de notre seigneur, c'est l'occasion. Il te donne sûrement là, la plus grosse épreuve de ta vie.

Tiraillée par ses paroles, j'attrapai mon visage entre mes mains. Paolo savait exactement quoi me dire pour me faire flancher. Il parlait d'une épreuve, en effet, et pas la moindre. Je refusai une nouvelle fois sur un ton net :

— Hors de question. Il y a d'autres personnes qui ont besoin de mon temps et qui souhaitent réellement être aidées.

Paolo me fixa un moment. Je pris soin de discipliner mes traits en me rappelant que mon travail consistait à ne juger personne. Son regard vert, intelligent, qui faisait fondre beaucoup de femmes dans cette ville, s'infiltra en moi. Il savait que rien ne me ferait changer d'avis, alors il abattit sa dernière carte :

— Très bien. Ce n'est pas à moi qu'il faut le dire. Ce soir, dans ta prière, ce sera entre elle et toi.

— Je te déteste, murmurai-je en inclinant ma tête.

Son expression remplie de tendresse, associée à la détermination qui l'habitait me touchait. Un demi-sourire vint écarter ses lèvres lui rendant alors cet air charmant que j'aimais tant.

— Je dois y aller, m'annonça-t-il avec regret. Donne-moi ta réponse demain matin. Olsen à de nombreuses restrictions. Je dois organiser sa journée assez vite.

Paolo me prit dans ses bras dans l'espoir, comme toujours, que je lui rende son étreinte ce qui était impossible pour moi. Je l'aimais, mais pas de cette manière. Pourtant, il continuait d'espérer que ça puisse un jour changer.

Après son départ, je restai un moment, debout, sur les marches du perron, le regard fixe. Le ciel était clair, la lune brillante, tout était réuni pour ressentir ce sentiment de quiétude absolu. Paolo savait choisir son moment pour me parler. Il savait que la nuit était le moment propice pour mieux communier avec l'esprit. Et il n'attendit pas le matin pour connaitre ma décision déraisonnable sur la mission qu'il m'avait proposé. Décision que j'espérai ne pas regretter.

Burn, beautiful Crow ( Version Française )Where stories live. Discover now