Chapitre 26-2

523 70 0
                                    

Un mur de photographes se leva devant moi dès que je posai un pied sur l'estrade. Les flashs agressifs des appareils se répétèrent un long moment. Mon oncle se tenait derrière moi, en retrait avec d'autres collaborateurs. C'était aujourd'hui que je devais faire mes preuves. La presse voulait des réponses. J'étais tenu d'étouffer les rumeurs. Des informations compromettantes avaient fuité sur les véritables raisons de mon incarcération ainsi que des informations sensibles qui remettaient en question l'image de la société. Le spectre néonazi planait au-dessus de nous, attirant désormais tous les regards.

Installé derrière le pupitre, je levai ma paume pour demander le silence. Le bruit se dissipa rapidement pour laisser place au calme. Je me retournai vers Frederick. Quand nos yeux se croisèrent, il comprit que les choses ne se passeraient pas comme prévu, mais c'était trop tard. Je revins sur la foule, appuyai mes deux mains sur mon support et commençai mon discours :

— Certains d'entre vous me voient pour la première fois alors je vais me présenter. Je suis Desya Olsen et je suis là, devant vous, pour vous dire que je compte bien mettre ma pierre à l'édifice dans cette société au nom internationale. Chaque membre de cette famille a créé sa fondation avant moi. Plus qu'une tradition, c'est avant tout un engagement puissant au service de causes qui nous tiennent à cœur.

Pendant de longues minutes, je parlais des fondateurs, des actions caritatives déjà mises en place, des fonds. Je rappelai à quel point le fait d'être les plus gros producteurs de diamants au monde nous permettait de participer à l'économie du pays et donnai quelques chiffres. Puis au bout d'un long monologue, j'arrivais enfin là où je voulais en venir :

— Il y a quelques années en arrière, mes choix étaient dictés par la haine et la colère que je ressentais envers les personnes ayant une origine, une culture, une couleur différente de la mienne. Je rêvais d'une Amérique blanche, non métissée. Suprématiste est le mot qui me désignait le mieux à l'époque. Et puis, la prison m'a donné une seconde chance. En fait, non, c'est East Harlem qui m'a donné une seconde chance.

Je marquai une pause pour mieux capter l'attention des journalistes avant de continuer :

— Ma liberté conditionnelle dans ce quartier m'a ouvert les yeux. Je suis tombé amoureux d'une communauté, je suis tombé amoureux... de... bien plus que ça. Je suis un survivant et pour la première fois, je porte un œil neuf sur le monde, sur la vie. J'ai laissé entrer le bonheur dans mon cœur. Et c'est bon. East Harlem me manque tous les jours. J'ai appris l'espagnol, j'ai appris ce qu'était la solidarité. Et surtout, j'ai appris à rire. Là-bas, j'étais le fils, l'ami, le frère de quelqu'un. Là-bas, c'était moi l'étranger et pourtant, les mains se sont tendues naturellement vers moi. Je ne me suis jamais senti autant chez moi que dans ce quartier.

Nouvelle pause. Mon auditoire était suspendu à mes lèvres. Je pris une profonde inspiration et me lançai :

— J'ai donc décidé que ma fondation serait d'utilité publique. Elle visera à aider les enfants d'immigrés, les étudiants d'origine étrangère, dans leur scolarité en leur apportant les fonds nécessaires. Ces enfants sont le visage de l'Amérique forte et unie de demain. Il y a encore trop d'inégalités dans ce pays et ce sujet n'est pas assez mis sur la table. Maintenant que presque tout est dit, j'aimerais finir sur le tsunami qui nous attend ces prochains jours au sujet des récentes révélations dévoilées dans la presse.

Je resserrai mes doigts sur le bord du pupitre avant de poursuivre d'une voix sévère :

— Tout est vrai sur ma personne. Toutes les rumeurs sont vraies. Olsen Corporation est gangrénée par cette idéologie qui n'a plus lieu d'être à notre époque. Je compte bien m'occuper de ce virus en prenant ce problème à bras le corps. Beaucoup de nos collaborateurs ne seront plus à leur poste demain. Il va y avoir du changement à tous les niveaux maintenant que je codirige cette société. Merci.

Les journalistes firent de nouveau crépiter leurs flashs, les questions fusaient dans un brouhaha assourdissant. Je me tournai vers Frederick qui m'observait en suffoquant, l'air de ne pas croire à cette trahison. Les autres collaborateurs, à côté de lui, avaient la bouche ouverte et me fixaient avec des yeux effarés. Mon oncle s'approcha à grands pas de moi, en adressant à la foule un sourire crispé. Avant qu'il ne m'adresse la parole, je le pris dans mes bras avec fermeté pour faire croire à une accolade chaleureuse devant les journalistes et murmurai à son oreille :

— C'est moi qui ai fait fuiter toutes les informations dans la presse.

Je sentis son corps se raidir. L'agressivité qui perçait dans ma voix lui fit comprendre que j'avais désormais toutes les cartes en main. J'ajoutai avant de le relâcher :

— Maintenant que tout est détruit, nous allons pouvoir tout reconstruire. Et ne t'avise pas de saboter les nouvelles fondations, car je te jure que je te briserai. Regarde-moi, ai-je l'air de mentir ?

Il s'écarta de moi. Conscient de l'attention sur nous, il réprima sa fureur, la mâchoire serrée au possible. Je le défiai avec un sourire arrogant. Le visage fermé, il me foudroya du regard puis répondit d'une voix sombre, menaçante :

— Tu ne pourras jamais enterrer cette organisation vieille de plus d'un siècle. Nous sommes une composante majeure de ce pays. Les Crows renaissent toujours de leurs cendres.

— Pas cette fois ! Je me battrai chaque jour contre cette gangrène.

— Alors, bonne chance !

Frederick était un homme implacable. Jamais il ne quitterait cette société pour laquelle il vivait, sans se battre. Je venais de lui déclarer ouvertement la guerre. Une guerre que je gagnerai une décennie plus tard, au terme d'un long combat.

Face au raz-de-marée des journalistes, je laissai notre attaché de presse mettre un terme à cette conférence.

Plus tard, j'apprendrais que le père de Mario Barrosa était dans la salle ce jour-là et qu'il n'avait pas réussi à contenir ses larmes à la fin de mon discours. Ma fondation était pour lui, pour son fils, pour sa petite fille. Je le leur devais.

Burn, beautiful Crow ( Version Française )Where stories live. Discover now