Chapitre 25-1

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Bluebell

Enfermée dans mon bureau, je me noyai dans le travail pour oublier le départ de Desya prévu demain matin. J'avais chargé mon planning toute ma semaine afin de m'occuper au maximum l'esprit. En vain, la réalité revenait toujours plus violemment à chaque fois, me torturant de toutes les façons possibles.

Nous nous étions revus chaque soir depuis sa bagarre avec Paolo. J'essayais de retenir chaque minute passée avec lui, sans y parvenir. C'était comme s'il m'avait déjà quittée. Ses paroles me revinrent en mémoire : "Blue, dès que je serais installé, tu viendras me voir. Je ne quitte pas le pays". Je m'étais contentée de hocher la tête et de lui sourire. Nous vivions dans la même ville, mais dans deux mondes différents. Et nos mondes étaient à des années-lumière l'un de l'autre. Desya voulait se convaincre que cela marcherait, que nous pouvions y arriver, sûrement parce qu'il préférait fuir la réalité. Ce qu'il refusait de voir, c'est que même s'il était encore présent physiquement à East Harlem, son esprit, lui, était déjà parti. Demain, le corbeau s'envolerait et le soleil disparaîtrait pour me plonger dans une nuit noire éternelle. Le vide qu'il allait laisser ne pourrait jamais être comblé.

Sans prévenir, la porte s'ouvrit sur la pièce. Je levai les yeux de mes dossiers, c'était Paolo. Submergée par mes émotions, ma détresse, je ne l'avais pas entendu frapper. Le choc de sa visite me paralysa. Près de la porte, il ne bougeait pas et restait là, à m'observer comme s'il attendait ma permission pour s'approcher de moi. Mes yeux le détaillèrent de haut en bas. Son manteau et son pantalon étaient trempés à cause de la pluie qui tombait sur la ville depuis ce matin. Je me levai de mon fauteuil et contournai le bureau en restant sur mes gardes. Avec un geste de la main, je l'invitais à rentrer davantage.

Maintenant qu'il était assez près de moi, je baissai les yeux et remarquai que ses doigts tremblaient légèrement. Paolo enfonça rapidement, d'un geste rageur, ses mains dans les poches de son pantalon. Dans un silence pesant, il regarda autour de lui avant de revenir me fixer. Son allure négligée et sa barbe naissante, mal entretenue, étaient le signe que ces derniers jours n'avaient pas été faciles pour lui. Un poids de culpabilité pesait sur ma poitrine. Il se sentait trahi, en colère, je ne pouvais pas lui en vouloir.

Au bout de longues secondes, il se décida enfin à parler :

— Je sais que je n'ai pas été l'ami que tu aurais aimé que je sois. J'ai essayé, Blue. J'ai vraiment essayé. Je n'aspirai qu'à partager tes joies et tes peines.

Sans haine, mais plein de tristesse, il trouva le courage de se confier à moi :

— Te rappelles-tu, petits, nous passions des heures sur mon vélo ? Je fonçai dans les rues d'East Harlem. Le temps qui passait était le dernier de nos soucis. Le soir, nous regardions les étoiles sur les marches du perron de ta maison et nous imaginions comment plus tard, nous allions réunir nos forces pour chasser les méchants du quartier. À cette époque, nous voulions déjà sauver le monde.

Il m'adressa un petit sourire furtif qui me fit davantage culpabiliser.

— Je t'aimais déjà. Aucune femme ne te ressemble. Cette pureté, cette bonté, ont toujours illuminé mon ciel gris. Et puis...

Il marqua un temps d'arrêt, avant de se forcer à poursuivre :

— Il est entré dans ta vie. Ma jalousie a fait place à l'orage qui a tout détruit sur son passage. Ta lumière n'a pas suffi et j'ai sombré dans le plus grand désarroi. Aujourd'hui, la douleur est trop grande. Pour te laisser partir, je dois m'en aller.

Je fermai les yeux. Ses paroles me mettaient au supplice. Je l'interrompis brusquement, prise d'un doute.

— T'en aller ? Mais pour combien de temps ?

Paolo resta un court moment sans rien dire. La tête me tourna, mon cœur battait à tout rompre.

— Je pars vivre en Espagne. Rester ici, près de toi, sachant que tu en aimes un autre, ce n'est pas possible. Je veux oublier, avancer, essayer un jour d'être heureux.

J'aurais voulu trouver la phrase parfaite, celle qui l'aurait guéri dans la seconde, mais elle n'existait pas. Je ne savais pas quels démons combattait Paolo, j'espérais juste que son âme trouverait rapidement la paix.

Je me forçai à respirer.

— Tu emportes une partie de moi avec toi, murmurai-je, la voix tremblante d'émotion. Blue sans Paolo, Paolo sans Blue, n'existe pas. Oui, tu mérites d'être heureux. Surtout toi. Toi, plus que n'importe qui d'autre.

Je franchis la distance qui nous séparait pour le prendre dans mes bras. Un millier d'images de notre enfance surgirent de ma mémoire. Je l'aimais. Pas avec le même amour que le sien, mais d'un amour sincère et immuable.

— Je parlerai à Shelby, promit-il. Je ne veux pas que vous restiez fâchées.

Nous restâmes un bon moment comme ça, l'un contre l'autre. Son adieu me déchirait le cœur.

Burn, beautiful Crow ( Version Française )Where stories live. Discover now