Chapitre 26-3

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Bluebell

Le froid de décembre était brusquement tombé sur la ville. Il était glacial, pénétrant.

En arrivant à la maison, je secouai mon manteau avant de l'accrocher à l'entrée. Malgré les deux couches de chaussettes dans mes bottines, mes pieds étaient gelés. Le collant sous mon pantalon n'avait pas suffi à me réchauffer de la journée.

Depuis un mois, je faisais exprès d'arriver tard le soir, pour éviter de me retrouver à table avec tout le monde. Je souffrais, le mot était faible. J'avais l'impression de traverser un véritable deuil dont je n'arrivais pas à me remettre. Partout où j'allais, il régnait un silence de gêne. En ma compagnie, les gens se taisaient ou parlaient à voix basse. Tout le monde me plaignait, ce qui m'agaçait profondément. En journée, je sauvegardais les apparences et craquai la nuit, seule dans mon lit. Lorsque June ou Adriana me demandaient comment j'allais, je répondais toujours d'une voix volontaire, forcée. Et quand je n'y arrivais plus, je remplaçais les mots par le geste.

Je me figeai en entendant la voix de Desya qui me parvenait depuis le salon. Mon cœur se serra douloureusement et mon souffle se coupa. J'avançai lentement dans le couloir et m'arrêtai sur le seuil du séjour. Dans la pièce étaient réunis ma cousine, ma sœur, Shelby et Ethan. Ils regardaient sur l'écran de télévision, la rediffusion du discours que Desya avait tenu quelques heures plus tôt, face à la presse. Concentrés, aucun d'entre eux ne m'avait entendu arriver. Mes yeux errèrent sur son visage. Même à travers un écran, son magnétisme restait intact. Je connus un instant de flottement.

J'ai donc décidé que ma fondation serait d'utilité publique. Elle visera à aider les enfants d'immigrés, les étudiants d'origine étrangère dans leur scolarité, en leur apportant les fonds nécessaires. Ces enfants sont le visage de l'Amérique forte et unie de demain. Il y a encore trop d'inégalités dans ce pays et ce sujet n'est pas assez mis sur la table. Maintenant que presque tout est dit, j'aimerais finir sur le tsunami qui nous attend ces prochains jours au sujet des récentes révélations dévoilées dans la presse.

Enveloppée dans un brouillard, j'entendais à peine ses paroles. Trop de souvenirs remontaient à la surface. Le regard braqué sur l'écran, je ne vis pas tous les visages se tourner vers moi. Adriana éteignit la télévision et je revins brutalement à la réalité.

— Blue, nous ne t'avons pas entendu rentrer, déclara-t-elle, la voix embarrassée.

Je posai mes yeux sur ma sœur. Elle ouvrit la bouche sur un mot qui ne venait pas.

— Tu dois avoir faim, enchaîna June, tout en se levant du canapé. J'ai fait des biscuits au chocolat-orange-chili pour le dessert. Je sais que tu aimes ça.

Ses paroles n'eurent pas l'effet escompté. Je pris une douloureuse respiration et répondis avec un sourire sans éclat :

— Merci.

Je voulais ajouter autre chose, mais ma gorge me brûlait. Je tournai les talons et montai dans ma chambre.

La pénombre régnait à l'intérieur de la pièce. Je m'autorisai à souffler un grand coup. Revoir Desya m'avait ébranlée. Je me dirigeai vers l'autel et allumai les bougies qui entouraient la vierge de Guadalupe.

C'est alors que de petits coups à la porte vinrent troubler le silence. La tête de Shelby apparut.

— Je peux ?

Je hochai la tête pour l'inviter à entrer. Paolo avait tenu sa parole et avait tout fait pour nous réconcilier avant son départ. Une véritable amitié amène l'autre à pardonner et Shelby l'avait fait. Mon amie traversait, elle aussi, une période difficile avec cette séparation. Ces épreuves nous rapprochaient.

— As-tu envie de parler ? demanda-t-elle avec un regard encourageant et bienveillant.

Sans attendre ma réponse, elle ajouta :

— Tu n'es pas obligée de faire semblant. Nous ne sommes que toutes les deux. Laisse-toi aller.

Elle s'approcha de moi et prit ma main dans la sienne. Je fermai les yeux puis posai ma tête sur son épaule. Shelby me berça dans ses bras en me caressant les cheveux.

— Je veux que ça parte. Cette douleur dans ma poitrine, je veux qu'elle parte, murmurai-je, brisée.

Mes larmes coulaient sur mes joues. Je ne les retins pas.

Burn, beautiful Crow ( Version Française )Donde viven las historias. Descúbrelo ahora