Prologue

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Une salle bondée, pleine de monde, des milliers de personnes présentes pour m'acclamer. Au premier rang, mes parents, ma grande sœur, et sur un autre siège, installée sur un petit coussin bleu roi, ma chatte. Je suis sur scène, Dmitri s'approche de moi, la récompense entre les mains. Tellement d'émotion, de joie et de fierté se mélangent pour ne former qu'un. Ma mère, les yeux rougis par les larmes est la première à applaudir tandis qu'on me tend le prix tant attendu.

Raphaël, pour avoir mis un terme à la criminalité dans le monde et amené la paix au sein de tous les peuples, j'ai le privilège et l'honneur de vous remettre le prix Nobel de la Paix.

Ému, je prends entre mes mains la récompense que je serre tout contre mon cœur. Sous un tonnerre d'applaudissements, je prends le micro pour commencer mon discours que j'ai lu et relu des dizaines de fois.

Miaou.

Décontenancé, et devant une foule tout aussi émerveillé, je réitère mon essai.

— Miaou.

De mes lèvres ne sortent que des miaulements ridicules et les gens applaudissent par milliers. Je souris bêtement quand subitement, ma chatte debout sur ses trois pattes saute sur scène et s'empare du micro.

— Arrête tes conneries, j'ai faim.

Mes yeux papillonnent, agressés par le soleil matinal qui parvient à passer au travers du velux recouvert de fientes et de pollution.

Je tends le bras un peu au hasard, cherchant après mes lunettes que j'ai dû avoir balancé quelque part après ma cuite de la veille. J'ai horreur du matin. Ce n'est pas mon genre de me lever aux premiers rayons du soleil et c'est encore plus flagrant depuis que je n'ai plus rien à faire de ma vie. La scolarité a rythmé mon quotidien pendant des années alors je n'avais pas le choix que de me lever pour aller en classe.  Heureusement, tous ces sacrifices ont fini par payer. Je suis, depuis six mois, diplômé en psychologie avec un parcours orienté vers la criminologie.

Et sans emploi.

— Ça t'amuses de me réveiller ? Je faisais un super rêve, Wundt.

Je pointe un index faussement furibond sur la chose disgracieuse qui me regarde depuis le sol. Wundt, c'est ma chatte, aussi moche qu'unique, elle m'accompagne depuis quatre ans maintenant. Borgne et tripattes, elle ressemble à un tonneau. Malgré son pelage "écaille de tortue" j'étais persuadé qu'il s'agissait d'un mâle, d'où son nom. Elle n'est ni belle ni futée mais sa résilience et sa loyauté font d'elle un animal terriblement attachant. J'ai dû batailler fermement quand ma sœur a voulu me la voler.

J'avais quitté la région pour mes études et suis revenu dans le but de construire ma carrière ici en me rapprochant de ma famille. Seulement, il n'y a pas un seul job qui s'offre à moi. Je survie de petites économies réalisées pendant ces dernières années mais je ne vais plus aller bien loin. Il faut que je trouve quelque chose ou sinon, je devrais demander de l'aide à ma grande sœur, ce qui lui donnera une bonne raison pour marchander la garde de Wundt. Mes parents paient assez comme ça.

Il n'est pas encore huit heures si j'en crois le réveil posé sur ma table de nuit encombrée. Ma tendance à la procrastination me freine dans mes envies de rangement. Le studio que j'occupe est en bazar depuis que je m'y suis installé. Mes parents, qui me soutiennent financièrement pour une partie des factures en attendant que je trouve un job, risqueraient la crise cardiaque s'ils verraient ce que j'ai fait de cet endroit. Par chance, ils ne sont pas du genre à faire des visites surprises. J'aurais le temps de tout ranger le jour où ils prévoiront de venir.

Le miaulement plaintif de ma bête affreuse me ramène à mes obligations. Même si je ne suis pas le roi du rangement, je m'occupe aussi bien que je peux de Wundt. Elle n'a peut-être pas toute la place nécessaire pour gambader ou de copain avec qui se bagarrer, mais je fais mon maximum pour qu'elle vive dans les meilleures conditions possibles. Je ne gère sûrement pas ma vie comme il faudrait mais je ne gâcherai pas celle d'un être vivant qui dépend de moi.

— Il est déjà l'heure de manger ?

Réglée comme une horloge à coucou, Wundt est toujours debout à huit heures, l'heure à laquelle la pâtée lui est servie depuis toute petite. Les matins où je n'étais pas pressé de me lever, elle venait pétrir sur mon visage avec son unique patte antérieure. Aujourd'hui, elle se contente de s'asseoir à côté du lit et de me fixer de son œil doré, l'air de dire lève ton gros cul et file moi à bouffer》.

— J'arrive, grosse vache.

La barrique à trois pattes ronronne en se dirigeant gaiement vers la cuisine.

Levé, et vêtu d'un vieux t-shirt informe et d'un short décoloré, je rejoins la cuisine ouverte sur le séjour lui-même ouvert sur la chambre. C'est l'inconvénient de vivre dans un studio.

Face à la fenêtre, j'entends tous les bruits de l'extérieur. Les voitures qui klaxonnent, les motos qui vrombissent, les pigeons qui roucoulent sur les toits, Mme Alvarèz qui crie sur un voisin qui a piétiné son sol mouillé. Les douces mélodies d'une vie en plein centre-ville.

Habitué à faire preuve d'une grande concentration, je fixe mon attention sur ma tâche présente, qui consiste à déposer délicatement le contenu d'un sachet saveur saumon dans une gamelle sans éclabousser tout le plan de travail. Une fois ma mission accomplie, je n'ai plus qu'à écouter les sons répétitifs d'une langue de chat qui dévore son repas. Ça, c'est ce qu'il se passe normalement tous les jours. Sauf qu'aujourd'hui, quelqu'un semble bien décider à détruire ma porte en toquant dessus comme un forcené.

C'est remonté à bloc que j'ouvre la porte d'entrée, prêt à envoyer bouler un démarcheur ou un témoin de Jéhovah. À ma grande surprise, je ne tombe ni sur un vendeur ni sur un croyant, mais sur un fantôme du passé habillé d'une combinaison de moto avec un casque sous le bras.

— Raphaël, j'ai un taff à te proposer.

Royal Cobra (Tome 1)Where stories live. Discover now