Chapitre 1.1 : Le début de la fin

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- Abel, ça fait un bail.

Abel a été mon meilleur ami pendant des années et mon pire ennemi en même temps. Longtemps en couple avec ma sœur, il l'a jeté comme une vieille chaussette quand il est parti faire ses études à Paris. Elle a déprimée un bon moment avant de développer une haine incommensurable envers lui. C'est simple, elle le frapperait jusqu'à la mort s'il ne mesurait pas deux têtes de plus qu'elle.

Il est également mon amour non réciproque de jeunesse.

- Je peux entrer ?

- Non. Qu'est-ce que tu veux ? Puis déjà, comment tu sais où j'habite ?

Parti pour intégrer la police dès ses dix-huit ans et sans aucun diplôme en poche à part le brevet, Abel s'est rapidement orienté vers la brigade criminelle. Enfin ça, je le sais grâce à sa page Facebook. Je ne l'ai pas revu depuis qu'il a largué ma sœur. Elle me tuerait moi aussi si elle apprenait qu'il est venu me trouver.

Il m'a envoyé un message avec un smiley clin d'œil quand j'ai obtenu mon diplôme. Rien de plus.

- J'ai croisé ta mère au supermarché, elle m'a dit que tu cherchais un boulot et qu'elle était inquiète à propos de ton avenir. C'est elle qui m'a dit où te trouver. Une femme charmante, elle n'a pas changé. Je ne peux pas en dire autant de toi. Où sont passés tes boutons et tes affreuses lunettes ?

Abel c'était le beau gosse du quartier mais aussi le plus insupportable narcissique que je n'ai jamais rencontré. Il s'était donné pour mission de protéger les plus faibles, moi entre autre, et terrorisait les brutes du coin. Avec ma gueule d'intello boutonneux et petit de surcroît, j'étais la cible des plus costauds au collège puis au lycée. Il volait à ma rescousse à chaque fois. Puis il s'est barré. Et moi j'ai passé des nuits à écouter ma sœur pleurer toutes les larmes de son corps, la voir refuser de manger, et noyer sa tristesse dans l'achat compulsif de fringues. Ma mère n'a jamais pu lui refuser quoi que ce soit après le départ d'Abel. Angie s'en est remise, mais elle dépense toujours autant dans les vêtements et les chaussures.

La lassitude s'empare de moi à toute vitesse, si bien que je suis fatigué de le voir face à moi alors qu'il ne m'a pas donné de nouvelles depuis des années. Malgré le temps qui est passé, sa voix de baryton et ses yeux d'un vert franc me font toujours le même effet que lorsque nous étions adolescents. Il est hors de question que je travaille pour lui.

- Tu peux t'en aller, Abel. Je ne sais pas ce que tu me veux précisément mais ça ne m'intéresse pas.

À la fin de ces mots, je repousse la porte pour la fermer, mais une épaisse botte de cuir m'empêche de la claquer. Abel passe ses doigts à travers l'ouverture et agrippe fermement le chambranle. Les années n'ont pas suffit à tarir sa force. Je n'ai jamais fait le poids face à lui.

- Décembre, Avril, et Mai, à chaque fois il tue aux mêmes dates de fêtes chrétiennes. Deux cadavres à chaque fois et ce depuis trois ans. On avait un psychologue dans l'équipe mais il nous a lâché. Il nous faut quelqu'un capable de percer l'esprit de ce malade pour nous permettre de découvrir son identité. Je sais que t'étais le meilleur de ta promo, Raph'. S'il te plaît, j'ai besoin de toi. Ce fou doit être arrêté avant qu'il ne recommence dans trois mois à Pâques.

La stupéfaction me rend muet pendant un court instant, le temps que les informations transmises par Abel montent jusqu'à mon cerveau encore embrumé par les vapeurs d'alcool de la veille.

Le Cobra, ainsi nommé par les journalistes, frappe depuis plusieurs années dans les alentours sans que personne ne parvienne à mettre la main sur lui. J'en avais déjà entendu parler alors même que j'étudais toujours. Il nous avait servi plusieurs fois d'étude de cas, mais j'ignorais que c'était Abel qui se chargeait de l'enquête. Le plus dingue dans tout ça, c'est que je rêvais d'être le psychocriminologue qui parviendrait à brosser un portrait exact du tueur, chose que personne ne réussit à faire depuis trois ans. Et aujourd'hui, alors que dans mon sommeil je recevais le prix Nobel de la Paix, on me donne la possibilité de participer à l'arrestation d'un sérial-killer de génie.

- Je prends ma douche et on y va.

L'air victorieux, Abel sourit de toutes ses dents tandis que je lui permets d'entrer pendant que je file à la salle d'eau. Pendant que je m'éclipse sous la douche, j'entends mon ancien ami d'enfance qui s'exclame sur la laideur de Wundt. En riant, je m'évapore sous le jet d'eau chaude en imaginant la réaction de ma sœur si elle entendrait son pire ennemi se moquer de sa nièce à trois pattes.

Au final, je suis bien content que ma barrique au pelage bariolé m'ait tiré de mon sommeil rêveur. Je n'ai pas gagné le prix Nobel mais on m'offre la chance de mettre un terme aux agissements d'un assassin qui menace la Paix.

C'est sans aucun doute le plus beau jour de ma vie de psychologue en criminologie.

Royal Cobra (Tome 1)Where stories live. Discover now