Chapitre 1.2

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Le macadam humide de l'avenue n'empêche pas la puissante moto d'Abel de tracer sa route. Il slalom entre les véhicules à une heure où les bouchons se forment. Quant à moi, je suis bloquée dans la file, ma petite Twingo à bout de souffle peine à se frayer un chemin. L'hiver est un moment redouté pour son moteur.

Il fait plutôt froid. Cette année encore, on a évité la neige. Quelques plaques de verglas ont ralentis la circulation en début d'année mais rien à signaler depuis. Pour dire, le mois de décembre s'est déroulé sous quelques rayons de soleil et une température au-dessus des normales de saison. Ma mère dirait que c'est à cause de tout ce qui voyage en orbite autour de la Terre. Quant à mon père, il est plutôt partisan d'une théorie du complot visant à réchauffer la planète pour se débarrasser de certaines populations. Angie, loin des préoccupations climatique est d'avis qu'il n'est pas urgent de s'inquiéter puisque nous serons morts quand la Terre s'auto-détruira. Tout ça résume assez bien ma famille.

Les yeux rivés entre le GPS et la route, j'arrive au point de ralliement ; le parking du poste de police.

La fumée noire et épaisse de mon pot d'échappement fait toussotter un uniforme qui passait par là. Je ne peux qu'aperçevoir à travers le rétroviseur, le regard mécontent que le flic me lance. Trop tard pour m'excuser, il file déjà bien loin.

Ma première journée commence mal. Ce qui me rappelle assez douloureusement la première fois où j'ai mis les pieds à l'université.

– Faudrait penser à changer ton tas de boue, Raph'.

Fièrement adossé à sa bécane, Abel ricane en fixant ma voiture.

Il est vrai que la portière conducteur est rayée, que mon rétroviseur droit ne tient plus que sur un fil, et que le moteur râle à chaque tentative d'accélération, mais je n'ai pas les moyens pour la changer. Et dans le fond, je l'aime bien mon tas de boue. Cette vieille carcasse me porte partout depuis des années.

– Tu m'as amené ici pour juger la mécanique de ma voiture ou pour me proposer un job ? Si c'est la première option, j'en ai rien à foutre et je préférerais donc être chez moi.

Abel paraît d'abord surpris. À l'époque où l'on s'est connu, ma répartie se résumait à fuir pour éviter le conflit. Maintenant que j'ai grandi – et que j'ai pu dire adieu aux boutons et aux affreuses lunettes rondes choisies par ma mère – je me sens plus confiant pour riposter comme il se doit. Puis, comme je m'y attendais, l'amusement remplace la surprise. Peu habitué à ce qu'on lui réplique quelque chose, Abel prend ça comme un jeu. C'est toujours à celui qui aura la plus grosse paire avec lui.

– Où est passé le petit gamin froussard et tremblant de peur que j'ai connu ? T'étais moins à l'aise quand il s'agissait de te défendre à l'époque.

Piqué au vif, je remonte dans ma bagnole, claque la portière, allume le contact, retire le frein à main et enclenche la première, prêt à démarrer en trombe et à repeindre les façades de ma fumée noirâtre et malodorante. Je trouverai un autre job.

– Raph', reste là.

La tête d'Abel apparaît à travers la vitre ouverte de ma voiture et ses deux bras pendent à travers, sa main droite posée sur mon épaule.

– T'es qu'un con, Abel, tu l'as toujours été et tu le sera toujours.

– Un con qui compte sur toi. Ce mec, ce tueur en série qu'on n'arrive pas à choper, il faut l'arrêter avant qu'il ne recommence. J'ai suivi ton parcours, Raph', t'es l'un des meilleurs de ta promo alors s'il y a bien quelqu'un qui peut trouver ce pourri, c'est bien toi. S'il te plaît, le fais pas pour moi, mais fais le pour tous ceux qu'il a tué et qu'il tuera encore si on le trouve pas.

– Où est passé l'adolescent arrogant et prétentieux qui aurait préféré mourir plutôt que de supplier quelqu'un ?

– Il est devenu flic pour sauver des vies. Alors, deal ? C'est pas la meilleure paye du siècle, y a pas de logement de fonction ou de voiture, mais y a une équipe sur laquelle tu pourra t'appuyer. Ta mère sera fière de toi, encore plus qu'elle ne l'est déjà, je veux dire.

Pour stopper son mélodrame larmoyant, je lève les deux paumes en l'air et soupire de lassitude.

Il faut avouer qu'il est doué en persuasion, pour ne pas dire en manipulation. Mais dans un sens, je dois également avouer qu'il n'a pas tort. Cet assassin doit être arrêté et comme tous les petits garçons qui veulent faire plaisir à leurs parents, je rêve que les miens aient les yeux qui pétillent en découvrant que c'est leur fils qui a aidé à mettre ce tueur derrière les barreaux. Je préfère passer mes nuits dans ces bureaux à réfléchir plutôt que dans mon canapé à noyer mes neurones dans l'alcool. Tant pis si le salaire n'est pas mirobolant ou si l'on ne me met pas une belle Peugeot 5008 à disposition. J'ai enfin l'occasion de montrer l'étendue de mes capacités.

– Deal. Si tu me présentais la fine équipe avant que je ne change d'avis ?

– T'attends pas un bureau gigantesque avec de l'informatique de pointe et des tableaux tactiles. On est installés au sous-sol avec si peu de lumière naturelle qu'on est sous vitamine.

Abel éclate de rire en donnant une tape à ma voiture. Je fronce les sourcils puis finis par sortir de mon véhicule. Mon ancien ami – et désormais collègue – est déjà en chemin pour rejoindre l'entrée du poste de police, située sur le côté du bâtiment vieillot. Quelques marches à gravir et une nouvelle vie s'offre à moi, celle du psychologue en charge du Cobra. Une vie que j'espère grisante.

– Abel, merci.

Loin devant moi, il n'entend rien si ce n'est la cadence de mes pas qui essaient de le rattraper. J'en suis soulagé.

Royal Cobra (Tome 1)Onde histórias criam vida. Descubra agora