Chapitre 1.3

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L'effervescence dans le poste de police m'empêche de me concentrer. Il y a des officiers qui courent entre les différents bureaux, d'autres qui gueulent à l'autre bout du couloir, et le bruit insupportable de doigts qui tapent sur les claviers. Mon cerveau, trop longtemps habitué à la solitude de longues nuits de révisions ne supporte pas le bruit. J'en perds de vue ma mission du jour ; retrouver Abel qui a disparu au détour d'un escalier.

On me regarde comme une bête de foire. Sans nulle doute parce que je suis un inconnu au sein d'une fourmilière de flics mais je déteste la sensation de dizaines de paires d'yeux posées sur moi. Je n'aime pas être le centre de l'attention. Ça me rappelle ce jour d'anniversaire, où pour mes six ans mes parents avaient invité de la famille éloignée. Pour moi, ce n'était rien de plus qu'un rassemblement d'inconnus qui frappaient des mains tandis que je rentrais de l'école. J'ai couru m'enfermer dans ma chambre et je ne suis redescendu que lorsque ma mère avait pris soin de renvoyer tout le monde. On a jamais fêté mon anniversaire autrement que nous quatre après ça.

Après quelques minutes à tourner en rond, je parviens à trouver l'escalier qui semble mener au sous-sol, camouflé par une porte avec un cercle rouge barré de blanc collé dessus. Je souffle un grand coup pour évacuer le stress qui me tord les tripes. Les rencontres avec des étrangers est toujours un moment redouté pour le timide que je suis. C'est aussi pour cette raison que j'ai choisi la criminologie.

Les marches en bois grincent sous mon poids. J'entends du bruit en bas, c'est bon signe, je reconnais la voix d'Abel qui murmure avec peu de discrétion. À mon avis, ma présence ne ravie certainement pas toute l'équipe. C'est comme ça depuis toujours, en EPS à l'école j'étais toujours le dernier choisi et les autres soupiraient quand ils m'avaient dans leur équipe. Pour les travaux de groupe par contre, mes camarades se battaient pour être avec moi. J'étais l'intello qui faisait tout le travail tout seul pour être certain d'avoir une bonne note. Quelque chose me dit que ça n'a pas changé.

J'atteins la dernière marche dans un silence de cathédrale. Un grand type, chauve, à la bouche camouflée par une épaisse barbe fournie de poils poivre et sel, et à la carrure imposante de rugbymen, m'accueille d'un regard froid doublé d'un froncement de sourcils. Il est silencieux, jugeant, et certainement mécontent. Abel, debout à ses côtés, pose une main ferme sur l'épaule du colosse. Mon ancien ami s'efforce de m'offrir un sourire rassurant mais l'aura glaciale de son collègue ne m'aide pas à me détendre.

– Roman, voici Raphaël, Raphaël voici mon coéquipier. Sous ses airs de Pit-Bull enragé, c'est un chic type.

Le dit Pit-Bull tend une main franche vers moi, que je serre rapidement, sans insister plus que ça. Sa poigne de fer colle au physique herculéen du flic. Un bon mètre quatre-vingt quinze et plus d'une centaine de kilos à la louche, un mastodonte qu'il vaut mieux avoir comme ami plutôt qu'en ennemi à mon avis. Même si comme tous les colosses, le policier a certainement un point faible lui aussi. Ça peut être utile de découvrir duquel il s'agit.

– T'as quel âge, gamin ?

– Moitié moins que vous certainement.

Le coéquipier d'Abel émet un grognement de colère. Visiblement, il n'est pas habitué à ce que l'on résiste à son interrogatoire. Les criminels doivent livrer tous leurs secrets devant ce molosse imposant. Ça ne m'étonnerait même pas que certains avouent n'importe quoi pour échapper à ce monstre dénué de cheveux. Mais là, je tire des conclusions hâtives. Ce flic a certainement des qualités.

– T'as pioché ce gosse au berceau, Abel ?

Je ne sais pas pourquoi il fait une fixette sur mon âge. Peut-être ressent-il un certain complexe à cause du sien. Il faut dire qu'il semble bien proche de la retraite. C'est un cap difficile à passer pour beaucoup.

– Crois moi, Roman, si Raphaël ne nous permet pas d'attraper ce salopard, alors il n'y aura plus d'espoir. C'est le meilleur, même s'il sort de l'école, il surpasse ceux qui ont vingt ans de métier. Fais-lui confiance. On peut compter sur lui.

– On verra avec le légiste ce que ça donne demain. S'il dégueule pas devant les œuvres du psychopathe, alors je lui laisserais sa chance. Pour l'instant, il n'est rien de plus qu'un bambin qui veut jouer dans la cour des grands.

J'écoute patiemment le dialogue entre les deux flics qui parlent de moi comme si je n'étais pas là. C'était pareil à l'école, quand mes professeurs racontaient à ma mère mes difficultés d'intégration sans se soucier de ma présence. Sensation désagréable à laquelle je me suis habitué depuis.

– Vous avez des infos à me donner concernant les meurtres ? Sinon je peux m'asseoir en attendant que vous ayez fini de tergiverser sur ma personne. Ou alors je rentre chez moi et vous m'appelez quand vous aurez besoin. Je vous laisse le choix, messieurs.

Je croise les bras sur mon torse en m'efforçant de paraître le plus sérieux possible.

Les deux hommes se consultent longuement du regard. C'est comme s'ils communiquaient par la pensée. Je pense qu'après des années à travailler ensemble, ils ont développés un langage silencieux. C'est beau une telle synergie. J'espère avoir un jour la possibilité d'exercer ce pouvoir avec quelqu'un qui me comprendra de la même manière que se comprennent ces deux coéquipiers. Pas facile quand on exerce une activité à tendance solitaire. Les psychologues travaillent seuls avec leur cerveau pour collègue. À l'exception que dorénavant, j'aurais deux collègues policiers et vraisemblablement un médecin légiste. Il va falloir que je me fasse à l'idée que je dois partager mes connaissances avec le reste de l'équipe. Mon dictaphone ne sera plus le seul à écouter mes élucubrations.

– Désolé, Raph'. Je vais devoir te faire signer un peu de paperasse. Tu pourra ensuite rentrer chez toi pour te reposer, une grosse journée nous attend demain. Ça sera également pour toi l'occasion de rencontrer le dernier membre de l'équipe. Ça te convient ?

– S'il est aussi accueillant que ton collègue, j'ai hâte d'y être.

– Roman aboie mais ne mord pas. Quant à notre légiste, il parle plus facilement avec les cadavres qu'avec les vivants. C'est un légiste quoi.

Depuis son bureau où il s'est retranché, Roman peste dans sa barbe d'une voix trop basse pour que l'on comprenne quoi que ce soit mais à mon avis ce n'est pas des gentillesses.

J'acquiesce face à Abel, ne sachant pas trop ce que je pourrais ajouter de plus à une conversation déjà peu intéressante. J'ai hâte d'être demain, de me lancer enfin dans l'enquête et de ne plus penser à rien à part au boulot. En attendant, Abel sort un dossier de documents à remplir. Je m'échauffe le poignet, conscient d'avoir une bonne dizaine de feuilles à signer.

Je suis impatient de rentrer et d'annoncer à mes parents et à ma sœur la bonne nouvelle. Le mouton noir de la famille a enfin un boulot et une nouvelle vie stable. Plus personne n'aura à s'inquiéter de ce que je vais devenir. Et Wundt aura toujours une gamelle bien remplie.

Vivement demain.

Royal Cobra (Tome 1)Where stories live. Discover now