Chapitre 1.9

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C'est tout penaud que je retourne dans la salle, là où m'attendent l'équipe.

À mon entrée dans la pièce, c'est comme si rien n'avait eu lieu. Abel me regarde d'un air embarrassé. Il hoche lentement la tête, pour s'excuser j'imagine. Ou alors, me félicite-t-il d'être revenu. Je ne souhaite pas lui poser la question.

Roman reste Roman. En retrait, les bras croisés. Il ressemble plus à un videur de boîte de nuit qu'à un flic. Sûrement faut-il que je prenne le temps d'apprendre à le connaître. Sauf que pour l'instant, je n'en ressens pas l'envie.

Quant à Merle, il trépigne d'impatience. Debout devant deux tables en acier, pourvues de roulettes, il passe d'un pied à l'autre, comme un petit chiot pressé qu'on lui porte de l'attention. Ce ne doit pas être souvent son heure de gloire. Homme de l'ombre, le médecin légiste n'est que rarement devant les projecteurs.

Pas plus que le psychologue, à vrai dire.

Je frissonne, de froid et d'appréhension. La climatisation en marche bourdonne dans mes oreilles et je me retrouve à secouer la tête pour essayer, en vain, de me débarrasser de ces sons. Les autres ne semblent pas dérangés. Une habitude à prendre, sans aucun doute.

Abel coule un regard vers le légiste, qui n'a pas besoin de mot pour s'exécuter. De haut en bas, il défait la fermeture éclair du sac mortuaire. En plastique rigide, Merle doit en plus écarter les parois pour que la housse s'ouvre correctement. Il répète le geste pour le second sac.

À la fois curieux et anxieux, j'approche à petits pas de souris des deux tables afin de faire face aux deux cadavres.  Le choc de la découverte me fait reculer tant la surprise dépasse mes attentes.

Il n'y a pas d'odeur. Ça ne sent pas le mort comme je m'y attendais. Peut-être un léger relent d'ammoniaque mais c'est tout. Non, ce n'est vraiment pas l'odeur le problème, mais l'aspect de ces corps. Le calvaire qui transparaît dans ce qu'il reste d'eux.

– Je n'avais jamais vu autant de sutures.

C'est moi qui parle, ou plutôt qui chuchote, comme si je craignais que les morts m'entendent.

Les cadavres sont pâles, logique. En revanche, le nombre de découpes et de sutures dépassent ce que l'on peut voir habituellement sur un corps autopsié. Il y en a partout, tout autour, telle une pâte feuilleté que l'on a coupé parfaitement pour qu'elle rentre dans le moule. Du sommet du crâne jusqu'à la pointe des pieds, il y a du fil chirurgical.

– C'est du travail de pro. Les corps sont mutilés mais c'est correctement fait. Les sutures sont propres et les nœuds parfaitement exécutés. Mon père n'aurait pas fait mieux, d'après ce qu'il a noté dans son rapport.

Merle ponctue chacune de ses informations en montrant les coutures sur les corps. Il est vrai que c'est net et sans bavure. Les tracés suivent l'anatomie du corps sans jamais commettre une erreur. Chaque petit plis est incisé correctement. C'est une main experte qui a effectué cette chirurgie morbide. Un médecin ? Sans doute.

– J'imagine que vous avez déjà enquêté sur tous les hôpitaux à la ronde ?

Je m'adresse au flic, et en profite pour détourner le regard de cet affreux spectacle. Ça fait du bien. Peut-être que je ne ferais pas de cauchemar cette nuit, au final.

Roman s'avance d'un pas assuré mais ne s'exprime pas pour autant. Au lieu de ça, il me juge de toute sa hauteur, comme si ma question ne méritait pas qu'on s'y attarde. J'imagine que dans sa petite tête chauve, il pense que je remets en question le travail d'enquête effectué jusque là. Ce qui n'est absolument pas ma motivation première.

Royal Cobra (Tome 1)Tahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon