CHAPITRE 11

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Dans une profonde inspiration, Aleksandr passa les doigts dans sa chevelure épaisse en fermant brièvement les yeux. Dans l’air il huma la douce odeur des fleurs parfaitement entretenue, et sous ses paupières closes, il faisait aussi noir que le ciel au-dessus de sa tête. Derrière lui il entendit ses pas presque silencieux, et comme toujours, la seule question qui lui venait en tête était ce qu’il pouvait bien faire ici.

— Il est parti ? demanda-t-il avec un calme que sa tête était loin de partager et cela sans se retourner pour la regarder.

— Oui.

— Vous devriez alors vous asseoir pour reposer votre jambe.

— Et vous devriez venir manger avant que ça ne soit froid.

Il prit une seconde, mais finit par se retourner pour la voir à quelques mètres sur sa gauche. Dans une longue robe de nuit, manche longue, blanche comme toute celle qu’elle se hâtait toujours d’aller enfiler après le départ du chef pâtissier, elle déposa un plateau comme tous les soirs sur la seule table haute du jardin. Sans se hâter, il vint à elle tandis qu’elle déposait en face de l’une des trois chaises, l’entrée, laissant le plat de résistance sous coche.

Quatre jours donc qu’il venait chaque soir afin qu’elle puisse se sentir en sécurité, et à la fin du cours, elle lui apportait toujours son repas, constitué d’une entrée d’un plat de résistance, et d’un dessert qu’il ne touchait jamais, et en rafraichissement, un verre de vin rouge ou blanc, cela dépendait de son repas, ainsi qu’un verre d’eau.
S’étant assis devant son assiette, Xander plongea la cuillère dans son carpaccio aux noix de Saints Jacques avec un certain trouble. Bien évidemment elle cuisinait comme nulle autre personne qu’il connaissait, mais même tout le gout de son repas ne lui enlevait pas l’étrange sensation d’être un petit chien quand il était question d’elle.

Il ne savait pas en toute honnêteté ce qu’il attendait d’elle, ou plus simplement à quoi rimait toute cette histoire, réalisa comme toujours Xander alors qu’elle débarrassait son assiette vide pour rapprocher le plat de résistance, du bœuf bourguignon. Il mangeait français chaque soir depuis le début de cette histoire.

— Qu’est-ce que vous avez ?

Il lui fallut une seconde pour entendre la question.

— Vous n’aimez pas ?

Son visage s’assombrit. Il vit même un soupçon de peur au fond de son regard ambré.

— Tous vos repas sont merveilleux, même si je vous ai répété plusieurs fois que vous n’aviez pas à le faire.
Elle se passa une mèche de cheveux imaginaire derrière l’oreille.

— Je sais, mais c’est la seule manière que j’ai trouvée pour vous remercier. 

Il ne parla plus, mangea en silence, savourant chaque bouchée semblable à une explosion de saveur dans son palais.

— Pourquoi n’ouvrez-vous pas un restaurant ? s’entendit-il demander. Et en dépit de la pénombre, il la sentit se crisper.

— La cuisine j’adore, mais pas quand elle quitte le domaine du plaisir, ou du moins je fais de mon mieux pour qu’il n’en soit plus autrement.

Il repoussa son assiette vide.

— Autrement ?

Elle se tut un instant, frottant nerveusement ses doigts l’un contre l’autre.

— Il fut un temps où j’aimais, puis cela a été transformé en torture, et maintenant je fais de mon mieux pour que cuisiner reste pour moi, dans le cadre le plus sain possible.
Aleksandr porta son verre de vin blanc à la bouche, une excellente cuvée. Dans sa vision périphérique, il vit le regard lointain de la jeune femme. Lointain et triste.

DOMINUM Le cœur du papillon Où les histoires vivent. Découvrez maintenant