LOUCHE

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Ne pas le voir de la semaine ou juste lui parler commence à me déranger. Des fois, je fais où lis quelque chose et je me dis tiens si je lui en parlais. Et je me rappelle aussitôt que je peux bien aller me faire foutre puisque je n'ai ni son numéro, ni son insta, ni son Facebook. Je n'ai rien et j'en conclus que c'est probablement ce que je représente pour lui.

Depuis quand je me contente d'être cette fille qu'on fréquente seulement deux heures le dimanche ? Sérieux, ça ne va pas net. Mais depuis quand je souhaite presque être cette fille qu'on fréquente plus que deux heures ?

Et puis ce n'est pas tout, il y a autre chose qui me saoule. Dès que je me pointe chez Rachid pour manger, par curiosité ou pour lui dire bonjour, il me dit qu'il a vu Cache-cou le midi ou bien le jour d'avant. Jamais qu'il m'a laissé un mot. Et moi, je le loupe constamment alors qu'il pourrait passer au ciné me voir vu comme c'est proche du parc. Mais que dalle. Je ne sais pas si j'en demande trop ou si c'est légitime que j'en demande.

Autant, ce mois d'octobre, je me contentais du dimanche, autant maintenant que je suis devant le rayon manga de la Fnac à me demander quelle collection de shōnen je pourrais démarrer, ça me fait bien chier de ne pas pouvoir le contacter. Il s'y connaît bien et paraît bourré de réfs. J'aurai aimé qu'il m'aide dans mon choix plutôt que Baptiste l'employé qui m'a conseillé un Shojo. Soit-disant, c'est plus adapté pour moi. Je viens de sélectionner Bleach pour lui faire ravaler son conseil bidon parce que je suis une meuf. J'attends patiemment à la caisse.

Bref, si le mec mystère ne laisse pas de mot, je vais le faire, s'il n'y répond pas, je ne le ferais plus. Ce mec prend un peu de place dans mon cerveau en ce moment, ce n'est pas spécialement bien, alors ça ne serait pas une grande perte de ne plus le voir. Ça serait comme avec Afef et Ismaël que j'ai laissé à Tunis. Même si, eux, je ne les vois pas parce que plusieurs pays nous séparent. Quand j'y pense, Afef était trop gentille, mais bon, elle m'a envoyé une carte postale d'Australie en septembre me disant qu'elle est partie pour contribuer à la préservation de la barrière de corail pendant six mois. Elle a l'air d'aller bien donc ça me va. Maintenant elle est gentille mais d'encore plus loin.

De toute façon, on s'attache peu aux gens, ou alors à ceux qui en valent le coup. Quand je vois que même dans mon cercle d'amis restreint on me fait des coups bas, j'évite de donner ma confiance aux gens et mon temps. Depuis l'affaire Séverine, j'essaye de revoir à la hausse mes critères pour déterminer qui vaut le coup.

Mais ma conscience me dit que le mec mystère en vaudrait le coup. On utilise le conditionnel oui. Il faut toujours dire des choses profondes avec prudence, histoire de ne pas passer pour une conne si ça s'avère faux.

— t'es grave dans la lune, m'affirme Evi

— faut que j'te parle d'un truc pour que tu me donnes ton avis.

Evi fait partie de ces personnes qui valent le coup. Alors vu que Bérangère, ma prof, lit un compte rendu à toute la classe, je compte lui parler de capuche-bonnet. Je suis sûre qu'elle aura un point de vue tranché.

— mais t'es complètement malade, me gronde-t-elle tout bas, tu t'es pas dit que c'était un sociopathe ?

Elle ne le connaît pas comme je le connais. Moi, je sais maintenant que ce n'en est pas un. Enfin normalement. À part s'il joue aussi bien avec moi que Joaquin Phœnix dans Joker. Là, je ne dis pas.

— ça va ! T'en fais un drame de fou ...

— nan mais meuf, vous vous voyez tous les dimanches, vous avez des centres d'intérêts communs, tu me dis qu'il te déstabilise et tu trouves ça normal que même son prénom tu puisses pas l'avoir ?

Filer à l'anglaiseWhere stories live. Discover now