Chapitre 1

45 10 64
                                    




— Jurençon, tu as une leçon d'escrime.

Le jeune adolescent se retint de soupirer, le regard morne alors qu'il reposait son livre pour traîner son corps à l'extérieur de sa chambre.

Il croisa Tybalt dans le couloir, le benjamin des Estaffes, qui le suivit en descendant les escaliers, probablement pour critiquer son niveau d'escrime puisque l'occasion se présentait.

Cinq années à vivre avec les Estaffes ne l'avaient pas rendu plus enthousiaste à l'idée d'apprendre quoi que ce soit. Il avait perdu sa curiosité d'enfant, au profit d'un esprit sarcastique qu'il détestait lui-même. Mais ses mentors ne lui en tenaient pas rigueur, chacun sachant que c'était de leur faute si le demi-Hélios n'avait goût à rien.

Ce n'était pas faute d'avoir essayé de l'intéresser à divers sujets. Mais ni la botanique, ni la cuisine, ni la philosophie ne paraissaient à son goût. Et de même, le renforcement musculaire, le tir à l'arc ou la chasse n'intéressaient pas l'adolescent.

Jurençon n'aimait rien, ne détestait rien. Il se sentait vide et se contentait d'obéir aux Estaffes, d'être docile et aimable à leur égard, comme une marionnette sans vie dont on tirait vaguement un fil de temps à autre pour la faire paraître vivante.

L'aîné des Estaffes l'attendait dans le salon. Jurençon s'autorisa à souffler un peu en songeant qu'au moins, si Tybalt le critiquait, William n'hésiterait pas à rabrouer son cadet.

— Prends ton épée, lui ordonna William. Tu vas faire quelques estocs sur un arbre pour t'échauffer et tu m'affronteras ensuite.

— Bien, monsieur.

Il entendit l'Hélios claquer sa langue d'une façon désapprobatrice, mais aucune gifle ne tomba sur sa joue. Les Estaffes l'avaient totalement cessé quatre ans plus tôt, après avoir manqué de le tuer.

Pour un peu, Jurençon aurait presque regretté qu'il ne soit pas mort ce jour-là. Au moins, il aurait rejoint le reste de sa famille, où qu'elle soit après que l'on soit décédé. Mais les Estaffes s'étaient précipités pour le soigner, sans doute pour éviter de perdre leur atout sur le royaume astrien.

Il se lança sans enthousiasme sur l'arbre, essayant d'être aussi précis que possible dans ses coups pour ne pas gaspiller d'énergie et rester efficace. Il s'attela à la tâche une dizaine de minutes avant que William ne l'interpelle pour le combattre.

L'adolescent resta debout trois minutes. Plus qu'avec Tybalt, moins qu'avec Arthur.

— C'est pitoyable, souffla Edward.

— C'est un temps honorable pour un enfant de son âge, rétorqua William.

— Nous tenions dix minutes à sa place, répliqua Tybalt.

— Nous avions commencé notre entraînement à deux ans. Pas lui.

— Vous n'êtes pas obligés de faire comme si j'étais stupide ou absent, rappela Jurençon. Je sais que je suis mauvais.

Il n'eut pas de réponse immédiate, et il resta allongé dans l'herbe, songeant avec ennui que cette année encore, il ne pourrait rien faire d'intéressant. Ses mentors exigeaient qu'il se prépare à intégrer l'école de l'Élite, mais n'étaient pas capable de lui dire quand est-ce qu'il pourrait même s'approcher de la prestigieuse école.

Théoriquement, il devrait vivre quelques mois à proximité de sa cible, avant de l'intégrer, mais les Estaffes ne pouvaient pas rentrer dans le royaume astrien, et ils ne lui faisaient pas totalement confiance. Ils craignaient sans doute que Jurençon ne profite de l'occasion pour échapper à leur contrôle.

Le demi-princeWhere stories live. Discover now