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Felix s'épongea le front avec son avant-bras et il eut un regard désespéré pour le nombre de caisses qu'il devait encore déballer et mettre en rayon. Son collègue, qu'il détestait cordialement de tout son être, n'était bien évidemment pas là alors qu'il aurait dû assurer la fermeture avec lui. Ce n'était pas la première fois qu'il se retrouvait à devoir fermer tout seul, mais il était toujours sur ses gardes. La supérette où il travaillait était ouverte jusqu'à trois heures du matin, qui était visiblement l'heure où les détraqués adoraient sortir faire leurs courses. La clochette retentit, annonçant un nouveau client, et Felix salua par automatisme la personne qui venait de rentrer dans le magasin alors même qu'il ne pouvait pas la voir. Il fit l'effort de quitter son rayon pour regagner la caisse, laissant derrière lui ses cartons à déballer. Avec un soupir, il s'assit sur sa chaise pour attendre que le client vienne pour payer, et il sentit ses poils se hérisser quand il reconnut la personne sur les caméras de vidéosurveillance retransmises à côté de lui. Quand on parlait de détraqué...

L'homme regardait directement la caméra située au niveau du rayon des bières, un rictus aux lèvres. Felix se força à continuer à respirer malgré la panique qui l'envahissait. Ce type était terrifiant. Il venait juste avant la fermeture, de préférence lorsque le jeune homme était abandonné par son collègue et donc seul. Il n'avait jamais rien fait de louche, mis à part le regarder un peu trop fixement, mais il semblait chaque nuit gagner un peu plus d'assurance. Au début, il se contentait d'acheter quelques friandises avant de partir, puis il s'était mis à fixer Felix, et deux semaines auparavant, il avait commencé à l'épier alors qu'il fermait le rideau de fer de la boutique. Et il était terrifié à l'idée que ce type puisse encore monter en puissance et le suivre jusqu'à chez lui. Son patron, lorsqu'il avait évoqué ses craintes, avait eu un geste de main qui signifiait grosso modo débrouille-toi. Il ne pouvait pas compter sur son collègue puisque celui-ci ne respectait pas ses horaires de travail et le laissait trop souvent seul. Et il n'avait personne pour venir lui tenir compagnie, aucun ami. Il était seul.

Son regard épia l'homme qui errait dans la supérette, visiblement sans but aucun, et Felix sentit son ventre se nouer quand il avisa l'heure. Il devait fermer. Comme s'il l'avait compris lui aussi, son client s'approcha de la caisse pour déposer ses articles sur le tapis. Des bières et un plat préparé. Avec des mains tremblantes, il scanna les articles avant d'annoncer le prix d'une voix trop fluette à son goût. Il transpirait la peur et il savait que l'autre l'avait remarqué. Le rictus de l'homme s'était presque fait carnassier. Le paiement fut rapide et, juste avant de partir, le client s'adressa à lui pour la première fois, lui qui était toujours silencieux lors de ses achats :

« - Bonne nuit, Felix. »

L'accent mis sur son prénom noua la gorge du jeune homme, qui se raidit en l'observant quitter les yeux. Il savait que son nom était inscrit sur son badge, mais la manière qu'avait eu le client de le prononcer n'augurait rien de bon. Dans un état de nerf tel qu'il manquait s'effondrer à chaque bruit suspect, il réussit tout de même à fermer la supérette, seulement éclairé par les lampadaires de la rue. Le silence lui glaçait le sang. Il vérifia une dernière fois que tout était bien clos, qu'il avait bien son portable et ses clés dans sa poche, et il se mit en route pour chez lui.

Trop rapidement, il prit conscience des pas qui le suivaient. Une sueur froide coula le long de son échine et il enfonça ses mains tremblantes dans les poches de son sweat. Felix faillit trébucher sur le rebord d'un trottoir alors qu'il traversait et, quand il se retourna en faisant mine de vérifier qu'aucune voiture n'arrivait sur la route, il reconnut aussitôt celui qui marchait à bonne distance de lui.

Le type de la supérette.

Un son de détresse grimpa dans la gorge de Felix, qui l'étouffa de justesse. Putain. Putain ! Il ne pouvait pas se réfugier dans un commerce puisque tous étaient fermés. Ses yeux le brûlèrent de larmes et il tourna soudain vers la droite, s'éloignant de son appartement. Hors de question d'indiquer à ce taré où il vivait. Peut-être que ce n'était qu'une coïncidence et que le type ne le suivait pas, mais il préférait ne pas courir de risques.

Justice in the Barrel //Minlix//Where stories live. Discover now