Iolass

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_ Iolass ! Iolass !

Je bougonne, agacé d'être réveillé par la voix insistante de Jason, mon jeune frère:

_ Laisse-moi dormir !

_ Nos navires ne vont pas vers l'Atlantide.

_ Mais si... Rendors-toi.

_ Non ! Nous nous éloignons de la tour de Poséidon.

D'un bond, incrédule, je saute de ma couche pour constater qu'il dit vrai. La tour de Poséidon, chargée de guider les navires jusqu'à l'entrée de notre port, s'éloigne. Nous n'avons même pas atteint les récifs de Charybde. Les navires se détournent de l'Atlantide. Ils font route vers la côte, vers... Notre père est-il devenu fou ? Il guide notre armée, si cruellement meurtrie vers le royaume des Amazones !

_ Ne bouge pas, je vais aux nouvelles.

Je quitte notre cabine pour me diriger à l'arrière du pont, vers la zone de commandement. Le roi s'entretient gravement avec les généraux des six autres navires et le chirurgien principal. Sans quitter la vivacité des échanges, d'un geste, mon père me fait signe d'approcher. Je reste silencieux.

_ Faites respecter mes ordres ! À la lettre, s'empresse-t-il de rajouter tout en m'attirant vers la partie privée de sa cabine.

Sa mine austère laisse présager toute l'inquiétude qui le ronge. Que se passe-t-il ? Pourquoi une décision aussi insensée ? J'ai beau cherché, je ne parviens pas à trouver ce qu'il espère gagner à nous lancer contre les Amazones. Ces sorcières ne sont fiables pour personne. Elles sont trop sauvages, trop imprévisibles. Aucun peuple ne commet la folie de les approcher. Il ne compte tout de même pas les attaquer.

_ Père, nous nous déroutons. Pourquoi ?

_ Un certain nombre de nos hommes sont frappés d'une fièvre violente, inconnue de nos chirurgiens.

_ Mais, hier encore, nous n'avions pas de malades, contredis-je surpris.

_ Tu manques d'expérience. Ce n'est pas une maladie, c'est du poison. Bientôt tous ceux qui ont été blessés par les flèches hyksôs mourront.

_ Mais le royaume des Amazones! Nos chirurgiens doivent pouvoir...

_ Nos chirurgiens sont impuissants. Le poison est un art que nous ne possédons pas. D'après Méphistès, les Amazones maîtrisent le secret des plantes. Elles peuvent nous aider.

_ Méphistès est un pirate. Il n'a aucune parole. Quant aux Amazones, elles refuseront d'aider des hommes.

_ Que de naïveté chez un prince d'Atlantide, sourit celui qui, plus qu'un père, est également mon roi. L'heure n'est pas à la politique. Ne t'inquiète pas, elles nous aideront.

Il a l'air si sûr de lui. Je préfère garder mes doutes pour moi, ma rancœur aussi. Le poison ! L'arme des lâches. Les Hyksos savaient qu'ils ne gagneraient jamais contre nous. Ils nous ont attirés dans un piège sur notre colonie des côtes asiatiques pour mieux nous affaiblir. Mon père connaissait-il leur plan ? Je ne peux le croire. Non, nous n'avions pas le choix. Les Hyksos deviennent chaque jour plus puissants, plus gourmands. Les Atlantes seuls ont le pouvoir d'endiguer leurs ambitions. S'ils le pouvaient, ils s'empareraient des territoires du sud, des Amazones pour retrouver leur gloire passée et régler leurs comptes avec Pharaon. Mais nous sommes là... enfin tant que le poison ne brûle pas nos veines. Les Amazones ne sont pas idiotes. Nous leur sommes utiles, malgré la méfiance qui existe entre nos peuples. Mon père a peut-être raison. Il est dans leur intérêt de nous aider. Si elles le peuvent...

_ En revanche nos hommes m'inquiètent davantage, dont pas mal de tes amis d'ailleurs. Il est hors de question de transgresser les lois de leur cité. Nul ne doit s'approcher des remparts. Vous êtes tous consignés dans les navires.

Là, il commence à se répéter.

_ Je compte sur toi pour que mes ordres soient respectés.

Je quitte mon père sur cette mise en garde, vexé d'avoir été traité comme un enfant. Revenu à ma cabine, Jason me harcèle de questions. Du haut de ses seize ans, il n'est qu'un enfant : il piaffe d'impatience. Il verra des Amazones, ces femmes farouches qui hantent nos contes d'enfants. Les voir ? Sa déception sera grande. Toutefois, je suis bientôt gagné par son enthousiasme. Le soleil pointe à l'horizon. Devant nos hublots, les côtes attendues se dessinent. Escarpées, coiffées d'une forêt dense, de hautes falaises barrent le ciel. Au loin le port apparaît, chargé de navires aux nations variées. L'activité semble intense devant les murailles de la première enceinte, flanquées de puissantes tours de gardes. Thermiscyre ! La cité amazone n'a jamais été prise. A ma connaissance, personne n'a jamais tenté de la prendre. Au-delà de ses murs, seuls les hommes esclaves, les plus chanceux captifs de l'andréion, prison secrète de leurs amants, peuvent être admis. Le son d'énormes cornes de brume annonce notre arrivée.

DélugeDonde viven las historias. Descúbrelo ahora