Iolass

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Notre père nous a fait mander, en tenue de guerre, a-t-il précisé. Jason et moi avons obéi. Visiblement les généraux de notre flotte sont fébriles. Il règne une tension perceptible lorsque nous pénétrons dans le centre de commandement. Très vite je repère Méphistès dont le large sourire n'augure rien de bon. Je haïs ce personnage sans foi ni loi qui parcourt tous les ports pour sa propre fortune. D'après la rumeur à la cour atlante, il est le seul étranger à accéder à la reine amazone, ce qui ne le hausse point dans mon estime. Je soupçonne mille choses pour avoir obtenu cette faveur, sans jamais deviner la vraie nature de ce forban. Mon père nous annonce qu'il descendra sans escorte, seulement accompagné de ses deux fils. Un murmure de protestation traverse l'assemblée mais nul n'ose s'élever contre la volonté du roi. Il compte sur chaque général pour maintenir à l'écart les hommes d'équipage et faire respecter la discipline. Lorsque les oliphants sonnent l'arrivée de la Reine, nos hommes répondent par nos trompes de mers.

Méphistès nous a précédés, probablement pour informer la Reine de la nature de l'entrevue. Elle me paraît imposante, sans âge, presque hautaine ainsi juchée sur son char. Sa longue tunique safran serrée à la taille par une cuirasse légère rehausse l'éclat de son visage anguleux marqué par une vie au grand air. Impassible, elle écoute Méphistès avec bienveillance puis descend doucement et s'avance vers nous. À aucun moment elle n'a quitté mon père des yeux. Cette attitude, si étrange, m'inquiète et je mets immédiatement la main sur le pommeau de mon épée.

_ Si vos intentions sont amicales, soyez les bienvenus, commence-t-elle d'une voix convenue.

_ C'est en suppliants que nous venons à vous, implore mon père en mettant genoux à terre.

En suppliants ? Les Atlantes ne supplient jamais, encore moins des peuples aussi barbares ! Pourtant mon frère et moi en faisons autant. Je cache autant que possible le sentiment d'humiliation que cela me procure. Je surprends alors le regard soucieux du seul homme de la suite royale, vers les bois, au nord, derrière l'immense muraille. Crâne rasé, le corps délicat, vêtu d'une longue robe blanche de lin fin, il ne peut être que prêtre, à peu près du même âge que mon frère Jason. Pourquoi semble-il fixer furtivement le plus haut des chênes ? J'observe mais ne distingue rien. D'un geste, la reine a permis à mon père de se lever et nous aussi. Ils se mettent à discuter en marchant seuls, le long du port. Leurs visages vers le retour sont graves mais je soupçonne une complicité entre eux qui me fait croire qu'ils ne se voient pas pour la toute première fois. Moi-même, je ne peux me départir d'une impression de déjà vue particulièrement désagréable, comme un lointain souvenir insaisissable.

_ Allez chercher la Meneuse des vierges d'Artémis !

À ces mots, deux gardes rentrent dans l'enceinte de la cité. Le jeune prêtre fait un geste nerveux avant d'accompagner la Reine et une autre amazone, plus âgée, plus athlétique, moins avenante aussi, dans notre nef. Celle-là n'apprécie pas plus que moi notre venue.

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant