Iolass

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Voilà qui a sensiblement distrait ma servitude. Pauvre Alia ! Première fois sans doute qu'elle approche un homme d'aussi près. N'importe quel atlante n'en aurait fait qu'une bouchée. En d'autres temps, moi-même... Rien que pour le jeu. Enfin... Il faut redevenir sérieux. Je doute que le banquet du soir amènera quoi que ce soit de distrayant.

Psyché s'est surpassée. Certes Alia porte à nouveau la robe vert sombre du matin mais elle a retiré la sous chemise de fourrure de la matinée. L'échancrure du col descend sans indécence dans un décolleté discret qui redessine ses formes naissantes. Un ras du cou torsadé en argent enserre la finesse de sa nuque cuivrée. Psyché a dénoué les tresses habituelles pour libérer sa chevelure d'ébène qui serpente le long de ses reins. Un trait de khôl comme seul maquillage accentue la profondeur de son regard lointain. Alia est divine mais absente, préoccupée, à des lieux de nous. Même lors de notre petite guerre, elle ne s'est jamais montrée si distante. J'en déduis qu'il se trame quelque chose.

Nous empruntons, seuls, le long dédale de couloir. La réception n'aura pas lieu dans la salle du trône mais dans une salle à manger non loin des appartements de la reine. Alia hésite. Je suis trop habitué aux mondanités pour ne pas percevoir la tension de ma « maîtresse » :

_ Besoin d'aide ?

_ Non, réplique-t-elle froidement.

_ Tout va bien?

_ Ça ira ! Tenez votre rang et tout ira bien. Sinon Hippolyte ne nous ratera pas.

Je doute de l'excuse fraternelle mais ses exigences sont on ne peut plus claires. Esclave je suis, esclave je dois être, donc en esclave je me comporterai. Alors, sûrement pour m'en convaincre également, je lui assure que je la servirai bien. Elle s'avance pour entrer, hésite, et me ramène au détour du corridor. Elle me fait face un moment avant de répliquer rudement à voix basse:

_ Ce n'est pas ce que je vous demande. Puis voyant mon regard intrigué : comment vous comportiez-vous sur l'Atlantide ?

_ Comment vouliez-vous que je me comporte ? J'étais le fils du roi.

_ Comment feriez-vous si vous étiez le fils du roi ?

En voilà une idée. Je me mets à imaginer ma princesse amazone jetée dans les subtilités de la cour atlante. Elle ne tiendrait pas une seconde. Je ne peux réprimer un sourire supérieur. Sa moue dégoutée me ramène très vite à mon rang actuel. Je m'excuse :

_ Cela vous déplairait.

_ Pourquoi ? demande-t-elle naïve.

_ La supériorité des femmes n'est pas vraiment un sujet atlante.

_ Je ne comprends pas, admet-elle toujours aussi sérieuse. Je suppose que nous allons devoir y aller.

_ Et si vous me disiez simplement ce que vous attendez de moi. Peut-être trouverions-nous un accord.

_ Ma mère veut que je vous traite en amant, que j'atteste de votre rang devant nos invités, histoire de vous donner un statut.

_ Je vois. Il s'agit de préserver mon honneur.

_ Quelque chose comme ça.

_ Et c'est tout ?

La reine me ménage. J'en suis heureux. Mais vue la nervosité de sa fille, trop agitée pour se rendre compte qu'elle massacre ses doigts dans un jeu d'entrelacs douloureux, je doute qu'il n'y est que cela.

_ Hippolyte va se faire plus conquérante que jamais et va compter les points.

_ Les points ? Là, excusez-moi, mais c'est à mon tour de ne pas comprendre.

_ Si les Hyksos me voient comme une reine envisageable, je crains qu'elle ne devienne enragée.

_ Et vous souhaitez qu'elle enrage.

Ce n'est pas une question. Son ton suppliant décèle une sorte d'urgence. Elle a très envie que son aînée enrage. Sa vie est trop courte pour lui faciliter la tâche. Ainsi Alia n'envisage pas de remporter le duel. C'est troublant. Voilà le feu de ses yeux : elle ne vit pas. Elle brûle d'un autre feu, certaine de devoir mourir.

_ Il nous faudra être proches, avancè-je doucement alors qu'elle adhère à mon plan. Ensuite commencez par être ici et non dans je ne sais quel projet inconsidéré. Faites-moi confiance, je crois être maître dans ces jeux-là. Et cessez ce vouvoiement stupide. On y va.

Elle inspire profondément et soulève la tenture.

DélugeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant