Prologue

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Le bateau s'éloignait peu à peu du port qui m'avait vu grandir. Du moins c'est ce que je déduisais grâce au bruit de l'eau froide raclant contre la coque du navire. Mis à part le chant de l'océan, un silence de mort régnait sur l'embarcation. Je me tenais tant bien que mal au bastingage pour ne pas chuter. Il y a à peine quelques heures mon destin et celui de neuf autres jeunes gens venait d'être scellé à jamais. Nous avions tous été désignés pour La Traque. Qu'est-ce que la Traque me demanderiez-vous ? Ma fin...mais aussi un événement ayant lieu tous les cinq ans sur le continent d'Edari. À chaque fois, cinq femmes et cinq hommes étaient tirés au sort pour se rendre sur l'île sans vie afin de tuer la Méduse, un monstre qui nous avait volé nos terres il y a quinze années de cela. Trois générations de guerriers s'étaient succédé sur cette île du malheur, et aucune n'en était revenue.

Mais cette fois, un espoir nouveau a vu le jour grâce à un homme. Persée. Le fils de Zeus et de Danaé. Le fils du dieu des dieux, un miracle pour notre peuple. Cette chasse pourrait être la bonne pour enfin récupérer nos terres. Tout le monde aimait Persée. Il était grand, séduisant et fort, il était l'espoir de nos gens... Tout mon contraire. Persée brillait comme le soleil et moi je me recroquevillais sous la lune. Il était déjà un héros à son jeune âge tandis que je n'étais qu'une moins que rien. Il était tout ce que je n'étais pas, courageux, brave, puissant !

Moi je n'étais qu'une fille ... aveugle, trouillarde, incapable de me battre. Un être imparfait qui n'était capable que de coudre et filer la laine avec ma mère. Pourtant Persée était mon ami, mon soleil, lui seul m'appréciait, lui seul acceptait ma présence sur ce bateau.

- "Elle n'a rien à faire ici, ce ne sera qu'un poids mort dans l'antre de la bête."

Palos, un jeune homme avec une voix plutôt aiguë et une chevelure rousse, d'après Persée, venait de cracher ces paroles. Je ne lui en voulais pas mais une chape de plomb m'enfonça un peu plus dans ma morosité. Il avait raison, je ne serai qu'un poids mort sur l'île mais le rituel avait fait apparaître mon nom à la pythie. Et la pythie n'a jamais tort c'est elle qui interprète la parole des dieux.

- "Laisse la tranquille veux-tu ?"

Cette voix chaude et familière me tira de ma torpeur. Je tournais mon visage vers l'origine du son. J'avais pris cette habitude malgré le fait que mes yeux ne voient pas. Persée s'assit à mes côtés sans me bousculer, prit ma main dans la sienne et me parla :

- "Ne l'écoute pas Oria, ce n'est qu'un idiot."

Je serais ses doigts entre les miens, un sourire se dessinant sur mon visage.

- "Il a raison. Que veux-tu que je fasse avec mes yeux, je suis incapable de vous aider pour la Traque."

Une nouvelle voix plus fluette vint s'introduire dans notre échange.

- "Ne dis pas ça, si les dieux t'ont désigné c'est qu'il y a une raison."

Je reconnu le timbre et l'odeur sucrée de Kalomi, la seule amie que je n'ai jamais eue. Comme Persée, elle me protégeait des enfants rudes avec moi. Ce dernier enchaîna :

- "Elle a raison, c'était ta destinée d'être ici."

- "Sa destinée va être de crever dévorée par la Méduse. Les dieux ont enfin voulu se débarrasser d'elle."

Cette voix sèche et tranchante appartenait à Thalia, une guerrière qui sentait la cendre et le sang. Je la savais amère, elle et les autres membres du groupe, car la dernière personne de leur petite troupe n'avait pas été choisie. Je sentis Persée et Kalomi se tendre à mes côtés. Le jeune héros menaça :

- "Garde tes paroles perfides pour toi Thalia."

La concernée ne fit que souffler avec dédain.

- "Tout le monde est d'accord avec moi Persée, cette troupe aurait été parfaite avec Anna. On aurait pu terrasser la Méduse sans problème mais il a fallu que cette infirme prenne sa place."

Je baissais les yeux malgré moi, cette haine à mon encontre me donnait envie de pleurer mais je ne leur donnerais pas ce plaisir. La présence de Persée s'assombrit, il se leva brusquement en manquant de me faire basculer. Sa voix sonna sourde, dure. Je n'avais jamais entendu ce timbre dans sa bouche.

- "Assez Thalia !"

Le silence qui suivit fut lourd.

- "Tu ne pourras pas la protéger éternellement Persée. Cette île est pire que le Tartare, elle finira par mourir. "

- "Je ne le permettrais pas, nous allons tous nous en tirer, tuer la Méduse et récupérer nos terres. Voilà ce qui va se passer."

La jeune femme le jaugea d'un air peu impressionné.

- "Tôt ou tard tu seras de notre côté Persée, crois-moi."

Paris, un jeune homme à la voix grave et pataude s'interposa entre les deux.

- "Ce n'est pas le moment de se battre, nous avons un bateau à diriger. Vous réglerez vos conflits à terre."

Aucun ne bougea, les deux se fixaient en chien de faïence. Je me levais alors tâtonnant devant moi jusqu'à atteindre mon ami d'enfance. Mes doigts se refermèrent sur sa tunique en lin.

- "Persée, ce n'est pas la peine."

- "Ils t'ont insulté Oria, ils ne veulent pas de toi !"

Mon cœur se pinça mais je l'ignorais.

- "Ce n'est pas grave, je prouverai ma valeur une fois sur l'île sans vie, alors s'il te plait arrête. Je ne veux pas qu'ils me haïssent plus que nécessaire."

Thalia ricana.

- "Au moins la principale concernée est d'accord, tu n'as plus rien à faire Persée."

- "Ferme là. Que tout le monde retourne à son poste, que ce navire ne coule pas. "

Les bruits sur le pont m'indiquèrent que les ordres avaient été suivis. Je murmurais à Persée :

- "Merci"

Je l'entendis soupirer.

- "Tu ne devrais pas te laisser faire comme ça Oria. Je ne le supporte pas."

Je sentis mes joues rougirent. Persée était pour moi un de mes seuls amis d'enfance mais aussi mon premier amour. Mon cœur l'aimait, aimait son odeur, sa voix, ses mains contre les miennes. Mais jamais je n'osais lui dire ce que je ressentais dans mon âme. J'avais trop peur du rejet. Il était tout pour moi, mon soleil. Je mourrais sans lui. Alors je me taisais. Mais mon cœur s'emballait de plus en plus fort quand j'étais à ses côtés.

- "J'ai l'habitude et comme je t'ai dit ce n'est pas grave, ce n'est pas ça qui va m'abattre."

Persée prit ma menotte dans la sienne.

- "Je n'aime pas ça Oria. Tu ne pourras pas me convaincre que ça te laisse indifférente."

Les mains de Kalomi vinrent trouver mes épaules pour m'arracher au héros.

- "Ne t'inquiète pas Persée, elle a la tête dure. Je l'emmène faire les nœuds pour les voiles, elle est bien plus douée pour ça que nous."

Le jeune homme acquiesça en me laissant aller.

- "S'il y a le moindre problème Oria, promets-moi que tu viendras me voir."

J'hésitais quelques secondes avant d'afficher un sourire que je crus être rassurant.

- "Promis."

Je le sentis se détendre avant de faire volte-face et de s'éloigner de Kalomi et moi. Cette dernière resserra sa prise sur mes épaules pour me guider sur le pont.

- "En avant ma belle, on a des voiles qui nous attendent."

Venatio Medusae (FxF)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant