Chapitre 14 : Cohabitation

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 Une fois leurs mains de nouveau stérilisées, il fut temps pour Elewen et Elliot d'aller vaquer à leurs occupations originelles. Après tout, leur travail au laboratoire n'allait pas se faire à leur place et les spécimens qu'ils y gardaient ne se nourrissaient pas d'amour et d'eau fraîche. Du moins, pas tous.

— «Icare, tu vas rester ici, le temps qu'on vérifie que les bactéries que t'as sur toi ne vont pas nous tuer dans d'atroces souffrances. Toi rester ici.» L'alien poussa un gémissement plaintif en réponse, mais il ne chercha pas à aller plus loin et s'assit sur son séant. Les traits d'Elewen se tirèrent de compassion. «Je suis désolée. Protocole sanitaire. Trop dur à expliquer en sionien.»

Elewen partit au laboratoire et continua le travail qu'elle avait délaissé dans la matinée. Elle était en train d'analyser le mucus urticant d'un spécimen ressemblant à un poisson-chat mélangé avec une anguille quand Elliot l'aborda, un plat de nouilles à l'odeur délicatement épicée dans les mains.

— «Je me doutais que t'allais encore oublier de manger.»

— «Merci, Elliot,» dit la xénobiologiste sans lever les yeux de son chromatogramme, un sourire étirant ses lèvres. «Tu peux poser ça là pour le moment. Je le mangerai bientôt.

— Ne le laisse pas refroidir.»

Elliot fit donc et un long silence s'installa entre les deux scientifiques, avec seulement le vrombissement des systèmes de ventilation et du réfrigérateur pour les déranger. Au bout de quelques minutes, Elewen entendit la porte de la réserve grincer derrière elle, puis le crissement métallique du tabouret juste à sa droite, lui laissant comprendre que le botaniste s'était assis, probablement pour travailler sur une des plantes qu'il avait ramené de l'extérieur — si elle en jugeait par les bruissements et l'odeur délicate du spécimen, elle avait vu juste —.

Celui-ci ne dit pas un mot alors qu'il prenait des notes sur sa holoapp, habitude qu'il avait prise à force de côtoyer Elewen, à sa grande reconnaissance. Contrairement aux autres scientifiques de l'Icarus, elle ne s'était jamais habituée à travailler dans le vacarme des expériences et le bavardage incessant, préférant plutôt le calme et la solitude de son département. Malgré cela, la simple présence d'Elliot à côté d'elle alors qu'elle travaillait la rassurait: elle ne savait pas si elle supporterait de rester seule après avoir vu le vaisseau scientifique exploser comme une étoile. Sans l'autre scientifique, elle n'aurait aucune compagnie humaine à des années lumières à la ronde. Ce n'était pas une prise de conscience très agréable à avoir; une qui lui faisait savourer chaque instant avec son comparse toujours un peu plus, aussi courts et calmes fussent-ils.

Elle prit une pause au bout d'une heure sous les ricanements d'Elliot, quand elle se rendit compte que son plat de nouilles était froid. L'assiette encore remplie dans une main et ses couverts dans l'autre, elle ralentit le pas quand elle passa par la salle de navigation du vaisseau et approcha silencieusement la porte du sas. Malgré sa taille raisonnable, elle dut tendre le cou pour distinguer quelque chose par delà la petite fenêtre de la cloison métallique. Icare ne l'avait pas remarqué, visiblement trop occupé à analyser une de leur combinaison sous toutes ses coutures. Comment il avait fait pour ouvrir les casiers verrouillés dans lesquels elles étaient normalement entreposées, elle l'ignorait. Elle sourit en le voyant comparer la longueur de la manche avec celle de son bras et se fit la note mentale de ne plus jamais sous-estimer l'alien, sa curiosité et ses doigts aux griffes démesurées à l'avenir.

— «Anne,» dit-elle. «Verrouille le panneau de contrôle de la porte interne du sas. Il serait malencontreux que notre ami ne l'ouvre par accident.

— C'est déjà fait, madame Walker. Monsieur Leroy m'avait déjà fait une telle requête il y a une heure de cela.

—... Pourquoi ça ne m'étonne pas de lui...?» soupira-t-elle, amusée.

Le Gardien de SouvenirsWhere stories live. Discover now