Chapitre 15: Une voix silencieuse

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 Sous l'éclairage tamisé de la réserve du laboratoire, Elliot observait ses plantes pousser dans leurs petits bacs de culture, son holoapp posé en équilibre précaire sur ses cuisses. Les plantules avaient pointé le bout de leur nez il y a deux jours de cela; à présent, la tige était bien développée et les premières ébauches de feuilles définitives commençaient à se former, apportant une agréable teinte rouge au tableau froid et stérile du laboratoire.

C'était un excellent signe, digne de finir dans le rapport en cours d'écriture sur son holoapp. En effet, plus ces petits végétaux grandissaient, plus sa mission de cultiver des plantes sioniennes à échelle humaine devenait tangible, et plus leurs chances de survie sur Sion grandissaient. S'il continuait sur ce chemin, ils n'auraient plus à craindre de manquer de nourriture en cas de problème. Elliot sourit à une telle perspective et aspergea la base des jeunes plants d'une fine bruine d'eau sionienne. Juste assez pour humidifier le sol, se rappela-t-il, sinon les racines vont pourrir.

L'éclat bleu vif de l'avatar d'Anne sur le panneau de contrôle de la réserve arracha le botaniste à sa concentration silencieuse. Il décida finalement de se lever de sa position accroupie, plutôt inconfortable, et s'étira longuement avec un soupir d'aise.

— «Salut, Anne,» dit-il.

— «Monsieur Leroy, il est deux heures du matin,» remarqua l'intelligence artificielle d'un ton presque accusateur. «Ce n'est pas l'heure pour travailler. Vous devez vous reposer.»

L'intelligence artificielle le suivit alors qu'il sortait du laboratoire, sautant de panneau en panneau pour ne pas le perdre de vue, ce qui était plutôt absurde, maintenant qu'il y pensait: Anne avait des yeux partout, grâce à ses caméras. Si elle se donnait autant de peine, c'était simplement pour se donner une présence plus tangible, plus humaine, une manie insufflée par des années de contact avec des êtres humains qui passaient leur temps à l'ignorer. Après avoir été ébloui par sa lumière agressive pour la troisième fois, Elliot finit par s'arrêter avec un soupir de défaite. Tel un œil désincarné flottant de la pénombre de la salle de navigation, l'avatar de l'IA l'observa silencieusement.

— «Monsieur Leroy, votre bien-être fait partie de mes priorités. La fatigue liée à une insomnie prolongée vous expose à un risque accru de commettre des erreurs potentiellement dangereuses dans un contexte de survie. Retournez vous coucher, je vous prie.

— Je le ferais si je le pouvais, Anne, crois-moi.

Elliot avait passé des nuits entières à veiller sans qu'il ne lui arrive rien. Il connaissait l'origine de chaque petit bruit suspect qui pouvait l'empêcher de dormir: le grincement sinistre de la ventilation du laboratoire; le brusque cliquetis du chauffage qui se remettait en route; le grattement incessant des platyceps, qui profitaient de la nuit pour agrandir leur terrier sous les trains d'atterrissage; les cris stridents et cauchemardesques des morscantrices, des prédateurs volants non dissemblables aux oiseaux de proie terriens. Il n'avait plus aucune raison de craindre quoi que ce soit, alors pourquoi son stupide cerveau s'acharnait-il à le garder éveillé?

— «Si vous vous sentez incapable de dormir, essayez au moins de vous reposer les yeux et de vous détendre un peu -»

Un fracas provenant du sas coupa l'IA et fit sursauter Elliot. Néanmoins, sa panique fut rapidement remplacée par de l'inquiétude quand il commença à entendre des gémissements étouffés derrière la cloison métallique. Jamais Icare n'avait fait ce genre de bruits, auparavant.

— «Icare?» appela-t-il à voix basse, sa main frôlant le panneau de contrôle du sas. «Tout va bien?»

Les couinements aigus se turent face à sa question et le vaisseau plongea de nouveau dans son silence bourdonnant.

Le Gardien de SouvenirsWhere stories live. Discover now