Solitude.

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Solitude. Ô Solitude, à quel point m'aimez-vous ? Solitude. Ô Solitude, je viens à vous détester.

Notre histoire était belle, pourtant. Je me souviens qu'enfant, vous me teniez la main et marchiez à mes côtés. Vos pas s'imprimaient dans la terre près des miens. Je me souviens qu'adolescente, vous dansiez avec moi. Votre robe était de mousse, votre visage était en fleur. Nous poitrines vibraient, agitées de frissons, nos coeurs cognaient tambour battant, nos jambes sautaient d'un mouvement énergique : notre danse était comme une harmonie soufflée dans un accordéon, un cosmos arrangé dans l'éther, notre danse était agréable et ordonnée. Je me souviens  qu'au prémices des âges de l'adulte, vous chantiez, chantiez pour moi. Vous vous teniez sous mon balcon, une lyre dans la main. Vous grattiez votre instrument comme les hommes caressent les cheveux de leurs amantes. Vos lèvres frémissaient, votre gorge s'ouvrait et un chant ! un chant que les oiseaux jalousaient, qu'Orphée reconnaissait, qui attristait les montagnes et qui émouvait le ciel, était entonné. Mon nom coulait sur vos paroles comme un soleil coupé au milieu, était cueilli au bord de votre bouche comme un fragment de tendresse perdu sur le bitume. Ô Solitude, tu me charmais et, je t'écoutais, l'oeil plein de larmes et le visage vide d'expressions.

Solitude. Ô Solitude, à quel point m'aimez-vous ? Solitude. Ô Solitude, je vous déteste, un peu.

Notre histoire était belle, pourtant. Aujourd'hui, je sens que vous m'étouffez. Vos mains sont encerclées autour de mon cou. Vos paumes, larges et rudes, comme un morceau de bois, s'étalent contre ma jugulaire. Vos phalanges rugueuses compriment mon sang, retiennent les battements de mon coeur et vos doigts ! vos doigts serrent, serrent et serrent encore. J'ai la tête qui tourne, l'air vaseux et les joues rouges. Vous détenez mon souffle entre vos mains, vous sentez mon coeur battre au creux de vos paumes comme un petit oiseau terrifié, vous respirez sur ma peau l'odeur de la peur, de la peine. Vous approchez votre figure, plantez votre regard comme un poignard. Mon regard est une tendre supplication : je peine à respirer, je me sens mourir. Aujourd'hui, je sens que vous me dominez. Vous êtes assis sur mon buste, comprimez ma poitrine et écrasez mes poumons. Je vous demande de vous lever : vous souriez, prétextant un jeu nouveau, un jeu amusant puis, vous sautez, bondissez sur mon buste comme un enfant sur son lit. J'ai la sensation que cage thoracique éclate : j'entends les os se briser et je sens une cote perforer un poumon. Aujourd'hui, je sens que vous m'assourdissez. Vous hurlez comme un démon filant dans la nuit à mes oreilles et votre voix ! votre voix est un supplice qui torture mes chairs, une douleur qui alourdit  d'un bloc de marbre mon estomac, une brûlure qui cuit mes muscles ou un tourment qui brise mes jambes comme à coup de bâtons.

Solitude. Ô Solitude, à quel point m'aimez-vous ? Je ne vous aime plus, je vous déteste. Vous n'êtes plus ce que vous étiez auparavant, vous n'êtes plus ma tendre compagne : vous m'écrasez, me dévorer, me briser les jambes et le cerveau. Je cherche un ami  : ne soyez pas jalouse. Ô Solitude, désormais, je vous déteste.

Cœur briséOù les histoires vivent. Découvrez maintenant