1| Deux fous prêts à se jeter du onzième étage

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« Si vous connaissiez le Temps aussi bien que moi, dit le Chapelier, vous sauriez qu'on ne le perd pas. Il se perd tout seul. »



𝑨𝒗𝒂



Putain de Cameron.

Ma tête tombe dans la paume de mes mains à mesure que mes pas foulent le sol en marbre gris. Sur la pointe de mes orteils glacés, j'attrape à la volée une bouteille de whisky posée sur la table basse adjacente à l'immense écran plat. Le goulot déjà ouvert de la veille frôle mes gerçures.

Il faut que je pense à mettre du baume à lèvres.

Mes doigts glissent sur le cuir froid du canapé avant de fixer les lumières encastrées au plafond. J'ai tiré les rideaux, fermé les volets, verrouillé les portes – si je devais me fier à sa paranoïa, je les calfeutrerais toutes une par une.

Mon frère est obsessionnel.

Psychotique, névrosé, toujours sur ses gardes.

Surtout depuis qu'il est sorti de ce trou à rat. De l'enfer.

J'atteins le bout du couloir, ouvre la porte qui mène au sous-sol, puis descends les marches à pas de loup. Je contourne l'immense ring, sous les bruits de fond. À mesure que je m'engouffre dans les entrailles du sous-sol, le grincement du métal et ses râles s'intensifient. L'humidité pénétrante titille mes narines et les lumières carmin éclairent la pièce plongée dans l'obscurité. Ses grognements de colère ne tardent pas à retentir dans un écho sourd.

Tandis que je me tiens en retrait derrière lui, le sac de frappe réagit aux assauts répétés de ses phalanges endolories, comme une danse chaotique. Dos à moi, ses cheveux blonds s'obscurcissent, imprégnés de sueur. Son bas de survêtement gris tombe sur ses hanches, alors qu'il porte un dernier coup, plus saturé que les autres, laissant échapper un ultime soupir.

Mes iris parcourent la pièce, dans mes souvenirs elle ne ressemblait qu'à un vieux taudis désaffecté. Il a dû l'aménager, sûrement après son départ. Le bar en ébène se dresse au fond, des bouteilles d'alcool en tout genre sont exposées sur une vitrine fixée au mur bétonné. De l'autre côté, près de la porte en acier qui mène au garage, des photos sont affichées sur une longue toile en bois ; toutes reliées les unes aux autres par des fils rouge et bleu. Quelques Post-its sont collés de part et d'autre. Au centre, une feuille blanche sur laquelle est inscrit un point d'interrogation.

Je zieute l'écran plat qui affiche une course de voiture. La rediffusion du Grand Prix de Formule 1, les différentes écuries ont couru la semaine dernière.

Aussi, n'a-t-il pas lâché cette idée absurde.

Pire encore, il l'a érigée en une seule et unique monomanie qui le bouffe de l'intérieur.

— T'as réfléchi à ma proposition sœurette ?

Sa voix flegmatique se diffuse dans l'air et attire mon attention vers lui qui – torse nu – éponge son front avec une petite serviette de bain. J'ignore sa remarque et m'installe sur une des chaises hautes en cuir noir, en prenant soin de déposer ma bouteille de whisky sur le comptoir. Une odeur d'alcool embaume la pièce lugubre, il a bu.

— On va devoir se mettre au boulot, ajoute-t-il le souffle court. Est-ce que t'as commencé les recherches ?

Ses pas martèlent le sol en ciment, et le conduisent à s'adosser au bar tandis que je secoue la tête. Il récupère le whisky et fait glisser un verre à sa hauteur pour déverser le liquide ambré avant de me fixer, amusé. Il porte le verre entre ses fines lèvres, lesquelles s'étirent en un sourire caustique, telle une esquisse tracée dans l'amertume.

The Pilot UnionWhere stories live. Discover now