10| Il est toujours six heures, désormais

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« Et la reine répondit : Nous courons pour rester à la même place. »



𝑨𝒗𝒂



La nuit est noire, pleine et lugubre. Ma respiration est coupée, hachée et entremêlée de larmes. Des dizaines qui tachent mes joues. Mon cœur s'emballe. L'odeur de terre qui s'insinue dans mes narines empoisonne mes sens. La poussière dans mes yeux brûle mes rétines. Ma vue devient floue à mesure que mes pas s'engouffrent dans les catacombes.

Les lumières carmin tamisées s'affaissent tandis que mes jambes dévalent les dalles de granit, sous les craquements de chaussures qui s'approchent.

Il est là.

Oh, petit Lièvre de mars, mais que tu étais doux, jusqu'à ce que tu essayes de me tuer.

Je pousse un hurlement à m'en rompre les cordes vocales. La peur me paralyse, il va me retrouver. 

Aussi, est-il partout, sur moi, dans mon esprit. Ses doigts parcourent ma peau, ses ongles agrippent mes côtes. Et mes narines se remplissent d'eau, ma tête rebondit contre le ciment.

La lune est éthérée, la pluie bat son plein.

Mes pieds dévalent les rues, les bruits de mes pas couverts par mes hurlements tous plus implorants les uns que les autres. Tous plus stridents les uns que les autres. Mes beuglements comme des suppliques résonnent, sous les orages qui grondent.

J'ai mal... la sensation... je... J'ai mal. Mon crâne est sur le point d'exploser de l'intérieur, de se fragmenter en mille morceaux. Ma tête frappe contre une paroi en pierre, au même moment que je tombe en arrière pour atterrir dans le coin d'eau. Cette dernière s'infiltre sous ma peau, dans mes vêtements, mes narines, mon cerveau...

Je ne respire plus, je... je, je... L'air, il ne... Je ne respire plus.




Mon corps se redresse subitement à mesure que je reprends mon souffle, haletante. Paniquée, je pose une main sur mon cou, avant d'essayer de calmer mes jambes tremblantes. Ce n'était que dans ma tête. Juste un mauvais rêve. Un de ces satanés cauchemars.

Ils sont de retour.

Non, en réalité, ils ne sont jamais partis, eux.

Changer de lit, ça ne suffit pas pour m'en débarrasser.

Primrose ou Bel Air, Angleterre ou États-Unis, en liberté ou enfermé, c'est la même rengaine. Mes démons me suivront jusqu'à la fin, jusqu'à ma tombe.

Dans un coup de vent, j'efface ces images en me relevant de mon matelas. Ces nuits courtes ne me laissent pas bonne mine, je dois me préparer pour aller au lycée.

Après un long passage face au miroir de ma salle de bain privé, une bonne demi-heure à me maquiller et me laver, j'enfile une robe chemise de couleur blanche, ainsi que mon gilet en laine rose pâle, au bouton en diamant entouré de perles. Puisqu'il fait frisquet, j'ajoute une paire de collants transparents et des bottes beiges. Ma grand-mère me les avait offertes, quand j'habitais encore chez elle, enfin les quelques semaines de vacances que j'obtenais, après avoir passé l'année dans ce pensionnat de malheur.

Là-bas, discipline et obéissance régnaient.

En d'autres termes, on devait se laisser faire, lorsque tout leur était permis.

Sans tarder, je balance mon sac Givenchy aussi doré que mes cheveux sur mon épaule, puis dévale les escaliers deux par deux. J'ai horreur d'être en retard, autre valeur inculquée au pensionnat, j'imagine.

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