L'annonce

190 10 25
                                    


Le soleil était au plus haut dans le ciel et il faisait une chaleur étouffante. L'azur ne présentait aucun nuage à l'horizon. Le jasmin, fraîchement éclos sur les façades des maisons, répandait sa douce odeur sur chaque coin de rue. Le chant des grillons annonçait le début d'un bel été sur la campagne de Celles. Les enfants s'amusaient autour de la fontaine. Ils poussaient des cris et des rires aigus en se baignant. Les mères restaient sur les côtés, assises sur la pelouse ou sur un banc, avec un livre ou une broderie à la main, tout en se racontant des potins dits et redis. 

Dans un coin de la place, à peine visible, Amandine peignait cette scène, un sourire aux lèvres. Elle était extrêmement concentrée puisqu'elle allait mettre un terme à son œuvre. Chaque fois qu'elle faisait une activité qui lui demandait une grande précision, elle avait l'habitude enfantine de tirer la langue. Elle n'était pas peu fière de son tableau, les couleurs vives jaillissant et se mélangeant avec harmonie. Lorsqu'elle donna son coup de pinceau final, elle réprima un soupir de satisfaction, se félicitant de son bon travail.

Elle rejoignit les enfants à la fontaine pour rincer ses mains couvertes de peinture. L'un deux lui éclaboussa le visage en lui tirant la langue. Ce geste qui pouvait paraître impoli, Amandine comprit qu'il s'agissait en réalité d'une invitation à les rejoindre dans leur euphorie. Elle ne se fit pas prier, courant après ces petites filles et ces petits garçons, les attrapant et les jetant dans l'eau. Elle riait tellement qu'elle avait des crampes au ventre. Amandine adorait les enfants du village, et les enfants du village adorait Amandine. A vrai dire, tout le monde dans sa petite campagne l'appréciait.

A bout de souffle et totalement trempée, elle s'assit sur un banc, où une mère lui tendit instinctivement un mouchoir. C'était Mme Leroux, la femme du boulanger. Une femme très bavarde, mais qui avait bon coeur. A Celles, c'était un peu la mère de tous les enfants et les adolescents.

- Amandine, Amandine... tu vas avoir vingt-et-un ans cet hiver, tu n'es plus une enfant, tu n'as plus l'âge pour faire ce genre de choses, lui reprocha-t-elle.
- Mme Leroux, il n'y a pas d'âge pour s'amuser !
- Tout de même ma belle, tu devrais sérieusement envisager le mariage. Ton oncle ne pourra pas toujours t'abriter, il faut que tu trouves une situation stable. Tu ne peux pas continuer à passer tes journées à peindre tout de même ! Je pense connaitre beaucoup de jeunes hommes qui pourraient te plaire, tient le fils de Monsieur Edmond par exemple... bon il a un an de moins que toi, mais il te dépasse en taille alors quelle importance !
- C'est pas bien compliqué de me dépasser, vous le savez bien ! ironisa Amandine suivi d'un éclat de rire. 
- Mon enfant, je t'en prie, aïe un peu de bon sens et écoute moi. Ce que je te dis là est très sérieux ! Il serait grand tant que tu...
- Mais je suis très sérieuse Mme Leroux, la coupa Amandine dans un élan de confiance, je ne suis pas intéréssée par le fils d'Edmond, je ne suis intéressée par le fils de personne et le mariage est une chose que je n'envisage même pas. Je me suffit amplement. Mes passions me comblent, je n'ai besoin de rien de plus. De tout manière, c'est pas comme si quelqu'un voulait de moi...

Elle prononça cette dernière phrase si bas que Mme Leroux ne l'entendit pas.
Contrairement à toutes les jeunes filles de son âge, Amandine n'avait jamais connu de petites histoires romantiques. Elle était parfaitement consciente qu'elle n'avait pas beaucoup de succès auprès des jeunes hommes. Elle n'était décidément pas reconnue pour être la plus jolie fille du village. Mais elle n'en était pas particulièrement bouleversée, elle préférait rester dans sa petite bulle.

La vérité était qu'elle se sentait en décalage avec le monde et les gens de son âge. Lorsqu'elle observait les jeunes de sa génération, elle était particulièrement désespérée voire dégoûtée. "Mais où vas le monde !" se répétait-elle souvent. Se jeter dans les bras du premier venu s'était inscrit dans les mœurs de la société. Amandine n'y connaissait rien en la matière, et elle pensait fermement qu'il en serait ainsi pour toujours. Elle avait d'ores et déjà accepté le fait de rester seule jusqu'à la fin de ces jours.
Elle ne croyait pas si bien dire, si elle avait sû le tournant que prendrait sa vie.

La Première Dame Where stories live. Discover now