Le peuple

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Amandine était perdue dans ses pensées. Elle observait à travers la fenêtre de son bureau les bruits de la ville, les embouteillages de carrosses, et des personnes courir dans tous les sens.
Elle aimait parfois s'adonner à l'étrange jeu d'imaginer la vie des gens qu'elle observait silencieusement. Par exemple, un homme tenait un boîte entourée d'un ruban, qu'il serrait très fort contre son torse, peut-être était-ce un cadeau pour sa bien aimée ? Ou bien, il y avait cette femme qui riait avec un enfant dans ses bras, probablement que son enfant était un petit comique ? Mais encore ce groupe de jeunes filles dont les mains étaient occupées par des sacs pleins, était-ce des vêtements pour une soirée ?

Un soupir s'échappa de sa bouche. La ville était un endroit fantastique certes, mais elle préfère de loin vivre dans sa petite campagne tranquille de Celles. Elle avait d'ailleurs reçu, il y a un moment maintenant, une lettre de Francesco. Selon ses dires, tout va pour le mieux là-bas.

Depuis qu'elle est arrivée à Tiraline, Amandine s'est vue changée. Elle n'est plus la même femme qu'il y a un an maintenant. Elle s'est surtout rendue compte qu'elle était devenue une femme. Elle prenait ses responsabilités en main, travaillait en semaine, et s'était débrouillée presque seule jusqu'ici. Elle se rendit également compte qu'elle avait perdu toute son innocence et sa joie de vivre. Plus de peinture, plus de lecture, plus d'éclats de rire à tout va. Elle avait l'impression qu'on avait gâché toute sa vie à cause de cette alliance. Et pourtant, si elle ne s'était pas mariée à M.Mollet, elle n'aurait jamais pû rencontrer Annette, Doriand et Maël...

Elle s'observa sur le reflet de la vitre. Amandine était méconnaissable.
La perte d'appétit lui avait retiré toutes ses jolies formes. Même avec son maquillage, on remarquait que l'éclat de sa peau avait disparu, laissant la place à un visage terne et des cernes marquées, causées par le manque de sommeil.
Une fois, elle avait refusé de participer à une des festivités de M.Mollet. Elle avait encore la marque de son coquard à l'œil gauche. Ses lèvres étaient gercées. Il lui semblait qu'elle avait perdu des cheveux, trouvant sa touffe moins garnit. Ils avaient perdu en brillance, son roux s'était terni. Ou bien était sa vision qui l'était devenue. La petite lumière blanche qui scintillait et qui animait habituellement ses yeux, avait disparu. Son vert s'était assombri. Elle observa avec pitié ses avant-bras couverts de griffures et de cicatrices. Elle se sentait physiquement et moralement épuisée.
Lorsqu'elle croisa son regard dénué de vie dans la vitre, elle s'excusa auprès d'elle-même.

- Excuse-moi Amandine. Je ne sais pas dans quoi je t'ai embarqué, mais je suis sincèrement désolé, je suis désolé, désolé, tellement désolé, désolé.. je... je t'ai totalement détruite ma petite Amandine, je suis devenue comme les autres, je t'ai oublié et je t'ai laissé mourir parce que je ne me suis pas occupée de toi comme il le faut. Pardonne-moi... j'te t'en prie reviens, j'ai besoin de toi...

Elle éclata en sanglots, cela en était trop pour elle. Jusqu'à quand tiendra t-elle ainsi ? Comment avait-elle put perdre toute sa bravoure ? Pourquoi n'arrivait-elle plus à se battre ?
Peut-être que lorsque le combat dure trop longtemps, il ne peut y avoir d'issus favorables.
Peut-être que le mieux reste de se résigner ? C'est moins douloureux que de perdre.
Peut-être devrait t-elle s'enfuir pour quitter cet enfer qu'elle vit sur Terre ? Mais où aller où ? A Celles ? Son oncle la referait venir ici illico presto.
Elle était juste bloquée, prisonnière.

Soudainement, on toqua à sa porte. Amandine n'eut même pas le temps de sécher ses larmes que M.Collet entra dans la pièce.
Il s'apprêtait à dire quelque chose, mais se tût immédiatement en voyant le visage décomposé d'Amandine. Un long silence gênant s'ensuivit car ni l'un ni l'autre ne savait comment réagir à la situation. M.Collet était un homme froid, perfide et agaçant. Chaque fois qu'il ouvrait la bouche pour lui faire des reproches, Amandine avait envie de lui donner des claques. Et pourtant, entre leurs petites querelles, ils partageaient souvent des moments un plus intimes. Après une année entière à travailler ensemble, ils avaient par ailleurs décidé de se tutoyer. Elle le détestait autant qu'elle l'appréciait.

La Première Dame Where stories live. Discover now