Épisode 12 : Brigitte

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La Chambre Argentée, nom des appartements de la troisième princesse, était un lieu tout en élégance qui dégageait en temps normal la sérénité d'un temple. Mais aujourd'hui, le sol en était jonché d'un ramassis de pétales, tiges et fleurs fanées.

« Evienrose, cette espèce d'insupportable idiote ! »

Slack.

Brigitte trancha avec fureur la tête d'une autre rose, donnant l'impression de la décapiter. Il s'agissait d'une applerose, une variété génétiquement modifiée, créée par la famille impériale, et dont les pétales crème étaient bordés d'un liseré vert qui lui rappelait le reflet dans les cheveux blonds de sa sœur. La grande coupe en marbre était à présent pleine de têtes d'appleroses. Mais les décapiter ne lui suffisait pas. Elle saisit l'un après l'autre tous les flacons de parfum qu'elle put dénicher sur sa coiffeuse et en vida le contenu sur les fleurs.

Une odeur suffocante commença à se répandre dans la pièce. L'air en devenait presque irrespirable, mais Brigitte semblait ne pas en avoir conscience du tout, et continuait à noyer les roses sous des litres de parfum. Elijah qui observait toute la scène dans un coin, soupira intérieurement.

Ces accès de colère silencieuse... Ça la rend encore plus effrayante...  

Seul encore présent avec elle dans la chambre à coucher, il alla aussi discrètement que possible ouvrir la fenêtre dans l'espoir d'aérer un peu. Heureusement pour lui, Brigitte, plongée dans sa rage intérieure, ne s'aperçut de rien.

« Comment ose-t-elle m'humilier de la sorte ? Elle aurait mieux fait de rester tranquillement dans sa chambre — elle s'y sentait si parfaitement à l'aise jusqu'à présent ! Elle a visiblement besoin qu'on la remette à sa place. »


Tout avait débuté au Conseil Suprême, une commission de la plus haute importance présidée par l'Empereur. Y siégeaient également le premier ministre, celui des finances, les présidents du Conseil Privé et du Bureau des Affaires Impériales et plusieurs autres personnalités en vue. Elle aurait dû se douter que quelque chose se tramait lorsque le premier ministre, qui ne la portait pas dans son cœur, lui avait proposé d'y participer, elle aussi, alors que le ministre des finances qui la soutenait, montrait une certaine nervosité à cette idée.

Les problèmes avaient commencé lorsque le Marquis Remitiello avait fait un compte rendu de la dernière réunion du Conseil Privé. Alors qu'il était en train d'expliquer leur nouvelle stratégie pour fertiliser les terres, Brigitte était intervenue en affirmant que l'idée en était ridicule. La perspective d'utiliser des carcasses de monstres pour des récoltes alimentaires lui déplaisait souverainement. Mais elle avait, sans le vouloir, plongé tête baissée dans le piège que lui avait habilement tendu le marquis, en politicien chevronné. Approchant la soixantaine, il avait une expérience certaine et maniait avec maestria la dialectique. Même la talentueuse troisième princesse ne lui arrivait pas à la cheville. Après avoir été plusieurs fois poussée dans ses retranchements, elle avait cessé de faire dans la dentelle et demandé, furieuse :

« Mais qui a pu imaginer un plan aussi répugnant ? Vous ne devriez pas parler à la place de ces gens, Marquis Remitiello. Faites donc venir les personnes concernées, qu'elles présentent elles-mêmes leurs idées !

Ah ? Eh bien, cette personne est aussi celle qui est à l'origine de la nouvelle version de notre politique migratoire... »

Brigitte avait écarquillé les yeux, horrifiée, tandis que des murmures s'élevaient autour de la table et que des regards discrets convergeaient vers elle. Tout le monde croyait que c'était elle qui avait proposé de faire construire dans le nouveau district, des logements privés pour les homonculi de la Garde Impériale ainsi qu'un établissement scolaire. En effet, persuadée que sa demi-sœur, qui jusqu'à présent ne semblait s'intéresser qu'à ses études d'alchimie, ne chercherait pas à s'attribuer le bénéfice de ses idées, la troisième princesse était allée clamer partout que ce nouveau projet était le fruit d'un dialogue qu'elle avait eu avec l'Empereur, autour d'un thé, en s'abstenant soigneusement de mentionner la présence d'Eve. Et par un cruel tour du destin, elle venait d'être confondue.   

Eve princesse révolutionnaire S2Where stories live. Discover now