Prologue

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— Ça devait arriver.

Cette phrase, glaçante et sans cœur, prononcée par celle censée me soutenir m'a extraite de mon drame pour quelques instants. Mon torrent de chagrin intérieur fait une pause pour accueillir l'amertume. Je m'imagine alors me ruer sur ma mère. Hurler. La secouer. Peut-être même abattre mes poings sur elle, autant pour lui faire regretter ses mots que pour évacuer ce bouillon d'émotions trop lourd à porter. J'aurais d'un coup tellement de choses à lui répondre... Et pourtant rien ne sort. Je reste là, simplement à la fixer tandis qu'elle s'affaire dans ma cuisine et déblatère seule, à qui mieux mieux.

— Oui, ma chérie. La moto, c'est dangereux. Quand je pense que tu aurais pu être avec lui ce jour-là ! ajoute-t-elle, mélodramatique.

— Sors... chuchoté-je.

—C'est une tragédie. C'est injuste. Mais tu es en vie, toi. Et puis de toute façon, rouler aussi vite avec de tels engins, ça relève du suicide.

—Dégage ! hurlé-je à plein poumons.

L'air surpris de ma mère attise encore plus ma colère. Elle ne comprend donc pas l'horreur de ce qu'elle ose dire à sa propre fille. Je me rue sur elle et la pousse hors de chez moi. Elle ne résiste pas, se laisse guider en silence. Je me plais à croire qu'une partie d'elle sait qu'elle est encore allée trop loin. À moins que ce ne soit les grognements de Stark qui l'aient convaincue.

J'espère que le claquement de la porte exprimera ce que je suis incapable de verbaliser. Stark aboie, couvrant les mots de ma mère, comme s'il voulait m'en protéger. Il me suit jusque dans le salon. Quand je m'affale sur le canapé, il me saute dessus pour se coucher contre mes jambes. Son poids sur mon corps a un effet apaisant. Il régule quelque chose en moi, que je ne peux pas expliquer. Ses yeux me fixent. Ils clignent irrégulièrement. Ses gémissements m'accompagnent dans mes pleurs.

Et dire qu'avant ce chien ne me calculait même pas. Enfin, pas tout le temps. La joie de me voir ne résidait que dans cette certitude que j'allais lui glisser le gras de mon jambon sous la table. Il n'avait d'yeux que pour lui.

Aujourd'hui, je suis sa bouée et il est la mienne.

Il ne me lâche pas du regard, c'en est presque oppressant. Il attend quelque chose que je ne suis pas certaine de pouvoir lui donner. Je ne suis pas lui.

Pourtant, il sait que je ne le lâcherais pas.
Il est ce qui me reste de lui.

Et puis, honnêtement, je me suis attachée à ce molosse.

Je crois que Stark attend. je ne suis pas certaine qu'il ait compris que son maître ne reviendra jamais plus.

Quand un être cher nous quitte, nous humains, traversons plusieurs stades avant de pouvoir avancer. Les chiens, eux, n'ont qu'une phase de deuil, le déni.

Je voudrais être comme eux. Ainsi, je pourrais me lever chaque matin, avec la certitude que Fabien reviendrait un jour. L'attente, c'est sûrement moins pénible que le manque.

Moi, j'oscille entre la colère et la tristesse.

Je stagne, pour être plus précise.

Tout me ramène à Fabien, tout. Notre appartement, les photos, Stark.

Mes pas me ramènent encore une fois dans le dressing, respirer ce polo que j'ai enfermé dans une pochette hermétique. C'est idiot mais parfois, j'en ai besoin. Après plus d'un an, je ne suis pas certaine que l'effluve soit encore présente, ce polo est probablement plus une clé sur mon souvenir de son odeur...

Il y a quelques mois, j'avais voulu le faire sentir à Stark, pensant lui faire du bien, l'apaiser un peu lui aussi. Mais j'ai vite compris mon erreur.

Dans ce placard, j'ai tout gardé intact, ou presque. Même cette photo. Lui, et sa Ninja H2.
C'est ce qui est inscrit en bas du cliché, Ninja H2.

L'assassin de mon amour.

Si je ne la déchire pas, c'est à cause des sentiments ambivalents qu'elle fait naître chez moi.

Le sourire de Fabien est si doux et cet engin de malheur est si ...

Voici que je m'effondre à nouveau. Je me demande si mes larmes finiront par créer un sillon sur mes joues à force d'emprunter le même chemin si souvent.

Mes jambes ne me portent plus, ma peine est si lourde. À genoux, cette photo dans mes mains, je souffre.

Stark s'approche de ma tête en soupirant fort.

Et je me réfugie encore dans ma mémoire, dans ce monde où il était là. Où nous étions nous.

Je ne peux plus vivre, après lui.

Après LuiWhere stories live. Discover now