Chapitre 2 ***

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Marina bredouille. Oui elle a bien entendu et non ça ne semblait pas dans ses plans.

— On peut y aller, du moment que Stark est en laisse, le gardien me laisse rentrer. Celui du week-end est moins souple mais aujourd'hui ça ne posera pas de problème.

Je comprends que ma sœur est déçue de ne pas mener son projet mais son visage s'attendrit et elle accepte ma requête. Nous repartons en direction du cimetière Loyasse.

Une bonne demi-heure plus tard, je patiente devant la grille tandis que Marina gare la voiture. Stark, en laisse à côté de moi, ne bouge pas d'un poil. Les premiers temps, je voulais croire qu'il savait que son maître reposait ici et cette pensée me faisait du bien. Cela me donnait l'impression de ne pas vivre mon deuil seule. J'imaginais alors qu'il se coucherait sur la tombale, pleurant et suppliant exactement comme j'aurais eu envie de le faire parfois, si la pudeur et la bienséance ne m'en avaient pas empêchée. En vérité, il n'a conscience de rien, il me suit, c'est tout. Ses réactions ne dépendent que des émotions qu'il perçoit chez moi, et peut-être aussi de l'odeur des écureuils qui nichent dans les arbres des allées.

Je suis donc presque toujours seule, avec notre chien.

Pas aujourd'hui.

Parfois, nous y allons avec ma belle famille. Marina est déjà venue avec moi. La présence d'un tiers ne me dérange plus.

Nous franchissons les grilles. Le gardien me salue depuis sa loge, ainsi que cette vieille dame que je croise à chaque fois. Nous sommes connus comme le loup blanc ici.

Nous marchons d'un bon pas, comme si nous étions en retard à un rendez-vous.

J'arrive vers Fabien le cœur lourd mais les mains vides. De tout façon, les fleurs, il n'aimait pas tant cela. Moi oui. Si j'en amène parfois c'est pour apporter ma touche de couleur, celle que j'aimais aussi ajouter à notre appartement. Je nettoie aussi les parties en granit ou je retire les feuilles mortes. Cela me permet de me donner l'illusion que je lui sers à quelque chose. Au moins pour cela. La concession de Fabien n'est pas la plus fleurie de l'allée mais elle est au moins la plus entretenue.

Stark s'assoit et Marina s'arrête à sa hauteur. J'avance seule devant la tombe de mon amour. Les pluies des derniers jours ont favorisé les mauvaises herbes. Sans un mot, je les retire à la main, et fais place nette avant de faire signe à ma sœur.

Le silence règne à présent, troublé ça et là par un oiseau impoli ou un avion intrusif au loin. Je fixe la stèle et les mots qui y sont gravés. Son nom, les dates.

Deux ans, me rappelé-je.

Je me remémore toutes ces pensées parasites, qui m'avaient effleurée le jour de son enterrement. Je l'imaginais, comme dans le film Ghost, vivre tout ceci hors de son corps. Contester mon choix de texte, me remercier pour la haie d'honneur de ses amis motards, m'implorer de prendre soin de son chien.

Aujourd'hui, les pensées sont plus brutales. Je n'arrive pas à m'ôter de la tête l'idée de son corps, abîmé par le temps. Je lutte, tachant par tous les moyens de la remplacer par son rire, ses blagues, sa gentillesse qu'il distribuait à tout va. Mais c'est peine perdue.

Poussière. Mais avant, dégradation, liquéfaction...

Je m'accroupis en gémissant de douleur et de colère, le souffle coupé. La douleur du manque et la colère contre cet esprit qui m'emmène dans des divagations putrides et parfaitement odieuses.

Marina se baisse à son tour, ce qui me fait réagir.

— On s'en va, annoncé-je en me redressant.

Je n'attends pas la réponse de ma sœur pour fuir. Je siffle Stark qui me rejoint au pied dans la seconde puis ne me concentre que sur le bruit de mes pas sur le gravier.

Une fois arrivés à l'extérieur de l'enceinte, c'est comme si je respirais mieux.

Installés dans la voiture, je me doute bien qu'il va falloir que j'explique ce qui m'arrive à Marina. Tout ce cinéma pour aller le voir. Tout ça pour rester moins de cinq minutes. Ma soeur ne veut que mon bien et elle ne me jugera pas, je le sais.

Le trajet se fait en silence que Marina n'ose rompre. J'ignore si je me sens d'attaque pour me livrer, mais je dois lui en parler.

— Il m'est arrivé quelque chose de bizarre aujourd'hui. Je n'ai pas réussi à me concentrer sur autre chose que sur Fabien dans sa tombe.

— Je ne saisis pas, c'est pas le but de base quand tu vas au cimetière ?

— Si. Je n'ai pas réussi à me recueillir comme je le fais d'habitude, je veux dire ! J'ai eu des pensées dégueulasses. pleuré-je.

Le soupir d'étonnement qui franchit les lèvres de Marina est une réponse.

— Je ne peux pas rester comme ça toute ma vie, conclus-je avant de m'effondrer sur mon siège.

Marina conduit les derniers mètres qui nous séparent de notre destination n'exprimant sa compassion que par sa main posée sur mon épaule. Quand elle arrête enfin le moteur dans le parking, elle défait sa ceinture pour se ruer sur moi et m'étreindre, repoussant Stark avec douceur. Ses bras sont un tel réconfort.

Je ne saurais dire combien de temps nous sommes restées comme ça. Suffisamment pour tarir mon flot de larmes.

— Veux tu que je prenne rendez-vous chez un psy pour toi ? demande-t-elle, la voix teintée de douceur.

— Non pas un psy, j'ai pas le temps, je travaille toute la semaine et puis...

— Et puis tu es à court d'excuses bidon ? Si je peux pas te forcer à aller voir un psy, au moins assister à des réunions, non ? Pour partager avec des personnes qui traversent les mêmes choses que toi !

Je repense à ma mère et à leur tentative d'il y a six, huit mois, peut-être. Elle m'avait donné une brochure. Comment cela s'appelle-t-il déjà ?

— Y'a un bout de temps, Maman m'avait parlé d'une structure dans le genre. déclaré-je. Je n'y suis pas allée.

— Je m'en doute, rit Marina. Et maintenant, tu te sentirais d'essayer ? Avant que tu dises quoi que ce soit, parce que je te connais : Oui je garde Stark, Non, j'en parlerai pas à maman. Oui, c'est compatible avec tes horaires. Non je te lâcherais pas tant que tu n'aurais pas essayé.

Un sourire étire mes lèvres. Elle a balayé toutes mes objections. La maline.

— Je n'ai plus la brochure, tenté-je en dernier recours.

— Mon amie Sophie a assisté à leurs réunions plusieurs fois. Je me rappelle que c'est les mardis et jeudis et je crois bien que c'est dans le quartier St-Jean.

Pas plus convaincue que cela, je promets à ma sœur d'aller au moins à une séance. Parce qu'elle me connait comme si elle m'avait faite, elle récupère les coordonnées exactes des réunions et s'arrangera pour venir garder Stark dès jeudi prochain. Je suis au pied du mur. Courage Amélia.

Notre journée s'achève avec des sushis à emporter, mangés devant une série. Un moment de calme chez moi, avec ma sœur têtue mais adorée et mon chien qui ronfle.

Je n'en attendais finalement pas plus pour traverser cette pénible journée.

Après LuiWhere stories live. Discover now