Chapitre 1 ***

33 10 6
                                    


Une nuit d'insomnie, je me balade dans ma mémoire, en quête de réconfort. J'aime m'y promener pour revivre nos moments. Je le vois, lui. Ces décharges de bonheur passé sont nécessaires à ma santé mentale. Le substitut que j'octroie à mon âme en sevrage.

Je nous revois emménager dans notre appartement. Nous l'avions sélectionné pour son grand garage sécurisé. La chambre de sa moto, comme il disait, sans un égard pour ma vieille titine, condamnée à rester dehors. La peinture du salon avait été objet d'un débat houleux. Je me souviens en avoir fait une montagne. Cette journée passée à bouder, je la regrette à présent. Avec le recul, tous ces moments n'étaient pas aussi importants que je le croyais.

Il est intéressant de constater combien ma mémoire a gardé des choses ou de petits instants qui paraissent sans intérêt au premier abord. Pourquoi revois-je clairement ce vieux presse-agrume qu'il s'évertuait à garder, alors que je ne me souviens-je même pas du goût des jus qu'il me préparait avec. Ces doses d'amour distribuées sous forme d'attentions de chaque instant rendaient notre vie exceptionnelle.

Sans m'en rendre compte, je m'endors bercée par ces belles pensées.

Au réveil, un fin rayon de soleil perce l'obscurité de ma chambre. Je ne travaille pas aujourd'hui et, pour une fois, mon moral ne semble pas me tirer vers le bas, alors je profite de ce moment.

Quand je me tourne du côté vide du lit, je peux observer Stark, le museau posé sur le matelas, comme il le faisait quand son maître était encore là. Cette vision me plonge directement dans le noir.

Je le revois râler à cause de la bave que son chien pouvait mettre sur le drap. Je me remémore nos conversations sans fin, allongés l'un face à l'autre, cette tendre harmonie. Ces moments de plaisirs arrachés à tous moments du jour ou de la nuit. La sensualité et la fusion de nos corps. L'amour avec lui. Notre avidité parfois.

De fil en aiguille, mon esprit revient sur la boîte. La boite. Deux ans que je l'ai rangée dans mon tiroir.

Je sors de mon lit et manque de marcher sur Stark en me dirigeant vers ma commode. La lumière est suffisante pour distinguer toutes les « saloperies » que j'ai entreposé dans le tiroir de la honte. Je fouille et en dessous de quelques papiers sans importance, je la retrouve.

La boite.

En bois, brut, simple, il n'avait même pas pris la peine de la peindre. Mais quand je l'ouvre, mes émotions sont les mêmes que le jour où il me l'a offerte.

Une rose éternelle, rouge. Parfaite, intacte. Dans le couvercle, une inscription :

« Cette rose fanera avant mon amour pour toi »

Je savais ce qu'elle contenait, c'est même pour cela que je l'ai ouverte, mais je ne peux retenir ces larmes qui débordent de mes yeux émus.

Me viennent des pensées fantasques. Se souvient-il de tout ça ? M'aime-t-il encore là où il se trouve ? C'est drôle comme ma vision de la foi est à géométrie variable. Je me dis athée. Mes pensées pour la religion peuvent être parfois à la limite du blasphème, pourtant en ce qui concerne Fabien, elles sont bien différentes. Je nous ai inventé notre propre dogme. Son amour était mon miracle, sa mort, l'apocalypse et depuis, il m'attend dans un paradis rien qu'à nous.

Souvent je l'imagine me regarder vivre et commenter, comme nous le faisions en regardant nos séries préférées. Dans les moments les plus durs, je me plais à croire qu'il pleure aussi d'être loin de moi et qu'il essaye de m'envoyer des signes que je ne verrais pas.

Je range la boite là où je l'ai trouvée et me prépare pour aller promener le chien.

Stark a créé cette stabilité dans ma vie : qu'il neige, qu'il vente, qu'il pleuve, il faut le l'emmener en promenade. Sans lui, il est possible que je ne sois plus jamais sortie de chez moi, de toute ma vie. Il m'a astreinte à un rythme et me force parfois même à échanger avec d'autres êtres vivants.

Après LuiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant