Chapitre 4 **

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Intriguée, je le fixe, comme si la réponse se trouvait au milieu de son front.

Lui, relève la tête et soutient mon regard. Depuis ma chaise, je perçois la profondeur du noir de ses iris. Leur insistance fait déferler des frissons sur ma peau mais je ne baisse pas les miens pour autant. Je ne comprends pas pourquoi ses yeux semblent me défier autant. J'abandonne cette joute insensée dans un sourire pacifique auquel il répond avant de tourner sa tête vers son voisin.

— Ça, commence René en posant sa main sur le haut de son corps, c'est un cadeau de mes enfants, mais c'est devenu le tee-shirt que je mettais pour faire râler Emilie quand nous nous disputions.

D'instinct, nous nous penchons tous pour l'admirer.

— Einstein qui lui tire la langue ! ajoute-t-il. Ma petite rébellion à moi ! Ce vêtement, il me fait penser à elle.

Nos rires accompagnent la fin de son récit. L'expression sur son visage est émouvante. Je trouve son histoire à la fois douce et amusante, si bien que je me surprends à demander à haute voix :

— Que ressens-tu quand tu le portes ?

Tous les regards sont braqués sur moi, je me sens bête. Ça n'est pas dans mes habitudes, mais cette anecdote a titillé ma curiosité. Moi aussi il m'arrive parfois encore de porter son écharpe quand je regarde la télé, pour imaginer ses bras. Je réalise que je ne suis pas seule à me livrer à ces excentricités. René me répond d'abord par un sourire.

— Je sais pas. Je crois que je ressens rien de spécial. Je rends hommage à son souvenir.

La sérénité qu'il renvoie est épatante. Pourrais-je un jour prétendre à ce niveau ?

Je devrais l'avoir atteint depuis des mois déjà. René est veuf depuis seulement un an et il a tant évolué.

— Et toi Amélia ? interroge René. T'as apporté quoi alors?

Je me fige, honteuse. D'une part, parce que je réalise que nous conversons en plein milieu d'une séance. Et puis, d'un coup tous ces regards sur moi qui attendent ma réponse attisent mon embarras. Je perçois les tics incontrôlables de mon visage et ma poitrine qui se serre toujours plus.

— Mon... Notre ... enfin son chien. bredouillé-je.

Comme s'il avait senti mon trouble, Stark arrive et place sa tête sous ma main. Il sait que je parle de lui.

Malgré le réconfort de sa présence et des regards attendris des autres, les mots me manquent. Durant ce moment de flottement, je pourrais sentir le désespoir s'infiltrer dans chaque partie de mon corps.

Je vais devoir avancer... sans lui. Non, je ne veux pas qu'il s'en aille.

Jamais plus on ne m'aimera. Non, laisse moi vivre ma vie !

C'est merdique, ce qui est arrivé ! C'est injuste ! C'etait pas ta faute.

Ces phrases parasitent le fil de mes pensées. C'est aussi incontrôlable que difficile à supporter.

J'essaye de respirer aussi profondément que discrètement. Je voudrais calmer à tout prix les crispations de mon visage, prémisse de ces larmes que je sens d'un coup monter et qui me font honte. Non, pas encore ! Tout retenir me coûte beaucoup.

Ça bourdonne dans mes oreilles. Au fond de moi, je prie pour que l'on passe à quelqu'un d'autre et que chacun cesse de me regarder.

— Moi aussi ! retentit une voix.

Ma prière a été exaucée, tous se tournent désormais face à celui qui a parlé.

Ulrick. Il m'adresse un regard aussi étonnant que son sourire en coin avant de continuer.

— Mon chien était celui d'Agathe.

Cette phrase, simple, calme la houle en moi. En un instant, mon esprit est redevenu une mer d'huile. Intriguée par ce que je viens de comprendre, j'écoute attentivement.

— Comme certains le savent déjà, mes parents ont acheté Glaçon pour donner à Agathe une raison supplémentaire de se battre, raconte-t-il en regardant en direction de son chien. Je suis certain qu'il l'y a aidée un peu. Mais... Est arrivé ce qui est arrivé et mes parents ont pris ce pauvre clébard en grippe. Je crois qu'il leur rappelait trop ma sœur. Agathe n'aurait jamais supporté qu'on l'abandonne, moi non plus d'ailleurs, alors je l'ai pris chez moi.

Je comprends vite qui est cette Agathe pour lui, le témoignage d'Ulrick m'émeut. Il finit son explication en regardant dans ma direction. Il n'avait pas prévu de prendre la parole, c'est certain. Je suis sûre qu'il a perçu ma détresse et qu'il n'a pris la parole que pour m'en soulager. Envahie par la reconnaissance et cette chaleur qu'elle fait naître dans ma poitrine, je tente un sourire pour le remercier.

Ce soir, nous n'aurons été que quatre sur sept à oser présenter notre « objet ». Les autres ont peut-être renoncé, voyant combien cet exercice a rouvert des plaies chez chacun d'entre nous, et mis en relief ces failles que nous portons encore tous, finalement.

J'ai conscience du travail que j'ai fait sur moi. Ma réaction de ce soir, je ne la considère pas comme un échec.

Aujourd'hui, la séance collective s'interrompt plus tôt pour permettre à Pierre de travailler un peu en individuel avec Marielle.

Je me retrouve, livrée à moi-même, avec les autres dans l'entrée. Deux de mes compagnons profitent des sucreries sur la table. Je m'approche pour en faire de même et jete mon dévolu sur une pizza qui, dès la première bouchée, s'avère délicieuse.

— C'est moi qui l'ai faite, résonne la voix profonde d'Ulrick derrière moi.

Pour toute réponse, je me tourne, et hoche la tête. L'empressement à terminer ce morceau pour ne pas faire durer le silence manque de me faire avaler de travers. Je tousse.

— Reste avec nous ! raille-t-il.

Le ricanement qui m'échappe me lance dans une quinte encore plus grande et très désagréable. Ulrick s'approche sans savoir comment m'aider.

— Oh là !

D'une main sur le haut de ma poitrine, il m'attrape, prêt à intervenir. Ce contact intrusif me fait sursauter, aggravant le phénomène. Dans un réflexe inconscient, je le repousse avec force et lui fais signe que ça va passer. Même si je suis gênée, je ne me sens pas étouffer. Il s'écarte d'un pas sur le côté.

— Pardon, m'excusé-je, la voix encore éraillée de ma mésaventure.

— Vas falloir que je change ma recette, ironise-t-il, elle est trop dangereuse celle-ci, visiblement !

— C'est parce que j'ai pas été sympa avec Glaçon la première fois qu'on s'est vu que tu essayes de me tuer ? On m'avait dit vrai, la vengeance est donc un plat qui se mange froid.

Ulrick, un sourire en coin, arque un sourcil. Et oui, Ragnar, moi aussi je peux blaguer.

— Ha ! Je me demandais si tu allais aborder le sujet un jour. Comment tu avais dit déjà ? Avorton ? Je suis bon prince, tu es pardonnée, Amélia.

— Quel honneur, Ulrick. Je te pardonne – également – d'avoir traité Stark de monstre, alors !

Après LuiUnde poveștirile trăiesc. Descoperă acum