Chapitre 2 *

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Combien de temps pour faire son deuil ? Mon médecin m'a dit que c'était propre à chacun, que cela pouvait être court, mais que si ça s'éternisait, il me faudrait de l'aide. La dernière fois que je l'ai consulté, c'était il y a dix-huit mois. Que dirait-il aujourd'hui. Est-ce pour cela que je n'ose pas y retourner ?

Tout à fait !

Je suis debout depuis six heures ce matin. J'attends que le temps passe.

Deux ans jour pour jour.

Je ne les ai pas vécus. Pourtant, quand je me repasse les événements, j'en ressens tout le poids. Deux anniversaires, deux Noël, deux St-Valentin.

Deux ans sans lui.

Ce jour de Mars, je m'en souviens. Un dimanche. Nous venions de faire l'amour avec une telle passion que l'idée qu'il doive partir pour sa sortie moto me déchirait. Le soleil sur nos draps, la douceur de sa peau, l'odeur de son gel douche, le goût de ses lèvres, mes sens étaient comblés. Je tachai de resserrer l'emprise de mes bras, pour le garder encore un peu.

— Je t'aime, chuchota-t-il à mon oreille, mais je dois me préparer, c'est bientôt l'heure.

— De toute façon, je sais que tu aimes plus ta moto que moi, grognai-je, feignant d'être vexée.

Je le collai de plus belle. Fusionnant un peu plus ma peau à la sienne. Sa main guida mon regard dans le sien.

— Je t'aime plus que n'importe quelle chose en ce monde, Amélia. Pense à ça quand je ne suis pas là.

Ses lèvres se posèrent sur les miennes, lestées de tout cet amour débordant de lui. Ce baiser m'électrisa, de haut en bas, créant cette vague de frissons délicieux. Il devait s'en aller, mais son corps n'était pas de cet avis. Sa main caressant ma peau, son sexe dur contre le mien, nos souffles et nos cœurs à l'unisson avaient une toute autre version.

—M'enfin, tu as pensé à Stark, notre fils ? tentai-je avec humour comme dernière carte.

Son rire éblouit mon cœur.

Notre fils restera avec sa mère, je sais que tu t'en occupes au moins aussi bien que moi.

À contrecœur, il se leva. Il vint m'embrasser une ultime fois, dans sa combinaison noire et rouge de super héros, puis il partit.
Pour toujours.

Devant mon café froid, je laisse divaguer mon esprit. Je revis mes souvenirs. Comme dans un jeu vidéo, si ma mémoire m'emmène sur le moment du drame c'est Game-Over. Je n'ai plus qu'à rejouer la partie, m'ancrant à nos meilleurs instants.

Je suis interrompue par Stark qui aboie. Quelques secondes plus tard, on frappe à la porte.

Marina.

Je lui ouvre, mais c'est bien parce que j'adore ma sœur.

— Salut toi. dit-elle en claquant une bise sur ma joue.

Quand je la rejoins au salon, je la surprends à papouiller Stark en lui glapissant des mots doux comme le ferait une gâteuse.

— Je me suis dit que je pouvais passer une partie de la journée avec toi. Je sais que c'est un jour compliqué. Si tu n'as rien de prévu, je te propose un petit programme ?

Le sourire tendre qu'elle m'adresse est contagieux.

— Ok, réponds-je, mais comment on fait pour le chien ?

— J'ai pensé à mon neveu, il vient avec nous.

Je prends un petit quart d'heure pour me préparer. J'entends Marina qui fait la conversation au chien. La fraîcheur du mois d'avril m'incite à m'emmitoufler, mais je m'autorise une coquetterie en me maquillant un peu, juste comme il aimait.

La première étape de notre journée est une sortie au parc de la Tête d'or. Nous marchons d'un bon pas dans les allées boisées. J'adore ce parc, un havre de paix au cœur d'une mégalopole. Au détour d'un chemin, nous arrivons à l'espace canin, le seul lieu où les chiens peuvent être détachés.

Installées sur un des bancs prévu pour les maîtres, nous observons Stark qui profite de sa liberté. Il court comme un dératé en faisant un bruit de cochon. Je jurerais d'avoir senti le sol trembler quand il est passé à côté de nous. Quand il se roule gentiment avec un autre chien de presque sa taille, je constate l'attitude attendrie de ma sœur. Elle glousse et moi je me moque d'elle avec tendresse. Mon esprit tourmenté fait une pause et une décharge d'affection me traverse quand je réalise qu'elle a pris sa journée et qu'elle fait tout cela pour moi.

— Merci, osé-je.

Pour toute réponse, elle me sourit.

— Deux ans. J'ai pas senti le temps passer et à la fois c'est une éternité sans ...

— Je sais, Amélia.

—J'ai l'impression d'en être toujours au même point. Je n'arrive pas à faire mon deuil.

C'est drôle, je me rends compte que c'est la première fois que je l'exprime à voix haute. Cette pensée est venue d'elle-même, je n'ai pas réfléchi à ce que je disais. Une drôle de sensation l'envahit, je n'arrive pas à la décrire. Comme si se réveillait un éclat de conscience en moi.

— Je ne suis pas forcément d'accord avec ce que tu dis, Amélia ! Je crois pas que tu n'aies pas évolué. Au contraire.

— T'es sûre que tu m'as bien vue ?

—Non, je suis sérieuse. Regarde. Tu ne ressens plus de colère, n'est-ce pas ?

J'acquiesce d'un hochement de tête.

— Bon, plus de colère. Et puis tu as conscience que c'est arrivé ? Tu as donc accepté la réalité.

— Alors pourquoi j'ai l'impression d'être en boucle ?

La moue de Marina m'indique qu'elle cherche ses mots. Depuis toute petite, je connais cette expression sur son visage, la bouche sur le côté.

— Je ne suis pas psy, mais je crois que le deuil est une chose, savoir vivre avec en est une autre. Voilà, je crois qu'il faut maintenant que tu apprennes à vivre avec ! 

Après LuiМесто, где живут истории. Откройте их для себя