Chapitre 5 ***

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Dans une inspiration profonde, je m'assois dans mon lit, estomaquée. Tout ceci n'était qu'un rêve. C'est la première fois que ça m'arrive. Fabien dans mon présent, chassé par un intrus.         Et maintenant, il faut que le viking vienne m'agacer jusque dans mon lit ?

Des tas d'interprétations s'imposent à moi, mais je n'aime pas ce qu'elles supposent. J'use d'une force surhumaine pour extirper ces pensées parasites.

Non, personne ne remplace personne, c'est compris ?

Encore lourde de ce réveil, je me prépare à partir. Stark s'agite. Bien que j'ai déjà descendu son panier dans ma voiture et bien que son sac de croquettes soit dans l'entrée, il ne semble toujours pas avoir compris que je ne partirai pas sans lui.

Il fait d'inlassables allers-retours entre la porte et moi, émettant des petits gémissements par intermittence. Je règle le problème en posant sa laisse sur mes épaules, le temps de finir. Pourquoi n'y avais-je pas pensé plus tôt.

En moins de temps qu'il faut pour le dire, nous voici prêts à partir.

La route fut agréable et c'est assez rapidement que nous arrivons au camp.

Basé sur un camping quatre étoiles dans des bois qui bordent le lac, cet endroit pourrait faire penser à un rassemblement hippie. Les mobil-homes vantés sur la brochure ressemblent bien plus à des yourtes.

Leur système d'arrivée autonome me plait bien. Un simple code de boîte à clés me dispense de toutes les formalités à l'accueil. Un mot d'ordre : décharger la voiture puis la garer à l'extérieur du camp, pour ne pas « polluer » le décor.

Sur la table dans la pièce de vie, je trouve un plan et un planning de toutes les activités. Quelle organisation. Les activités ne commencent que lundi.

Après la découverte du grand lit et de la mini salle de bain, j'envoie des messages pour dire que je suis bien arrivée, photo à l'appui.

Le calme des lieux donne champ libre à mes pensées. Je m'étonne encore d'être ici. Et je déplore, deux ans après, d'en être toujours là. Je voudrais voir ces vacances comme une cure intensive pour enfin reprendre goût à la vie. Cette vie avec lui n'existera pas, je dois avancer et bâtir autre chose. Cette phrase, que je me récite intérieurement, sonne comme un mantra. Un mantra dont la force , pour le moment, me donne la nausée.

Une fois complètement installés, en sortie du parking, l'empressement de Stark m'incite à l'accompagner faire un tour des environs.

L'odeur de pins chauffés par le soleil ravit mes narines. Bras nus, je ressens la fraîcheur de l'ombre et la morsure du soleil par intermittence. Les joies de la montagne.

Stark sautille et se dandine dans le sous-bois. La joie de sa liberté est contagieuse. Je lance des bâtons à mon gros toutou qui, une fois sur deux, ne me ramène même pas celui que j'avais envoyé. Au bout d'un moment, mon engouement si est grand que je ne sais même pas lequel des deux s'amuse le plus. Je caracole, je ris, et profite de mon ami, celui qui ne m'a jamais laissé tomber depuis...                                                                                                                                                                   À ma grande surprise, je chasse l'idée triste qui voudrait prolonger ma pensée, d'un regard dans celui de mon chien.

Quand notre jeu cesse, je suis presque essoufflée, mon pantacourt est vert de mousse et Stark a le pelage terreux. Nous n'avons pas fier allure, mais quel moment !


De retour vers notre yourte moitié mobil-home, un sourire radieux aux lèvres, j'aperçois Mariam qui m'adresse de grands gestes. Quand elle arrive à ma hauteur, elle m'ouvre ses bras pour m'étreindre, chose qui n'était jamais arrivée.

— Je suis contente de te trouver là, ma grande ! Tu es arrivée quand ?

— Il y a moins de deux heures, je dirais.

— Nous, ce matin. Mon fils a déjà repris la voiture pour se promener dans les environs. Les vacances avec sa maman, tu comprends, il a peur de s'ennuyer.

Elle tente une timide caresse sur la tête de Stark qui, comme à chaque fois, sort sa langue. Mariam sursaute puis glousse.

— Allez, viens, on va voir les autres, m'intime-t-elle en me prenant bras dessus bras dessous.

Il est surprenant de voir Mariam aussi pimpante et ouverte, surtout avec moi. Elle qui ne me parle que très peu depuis le départ. Réfléchissant à la cause de tout cela, je fais le parallèle avec moi et ma joie dans le sous bois.

Autre décor, autre nous. La forêt nous ferait-elle tant de bien ?

Mariam bavarde et je bois ses paroles. Elle me narre son trajet dans le véhicule de son fils avec cette façon bien particulière qui me donne la sensation d'assister à un stand up. J'éclate de rire quand elle invente une phrase sans queue ni tête pour singer un rappeur à la mode que son fiston lui a forcé à écouter dans la voiture. Elle tortille ses doigts, ne se rappelant plus du signe exact qu'elle voudrait imiter.

Attablées à la buvette, nous sommes rejointes par des personnes que Mariam prend visiblement plaisir à retrouver. Des anciens de « sans eux », je suppose. La joie qu'ils ramènent avec eux apportent une ambiance colonie de vacances pas désagréable. Ils me saluent et m'incluent naturellement dans leur cercle en une parole, un sourire. Un employé vient prendre les commandes et bientôt, la table est pleine de bières, de fromages et de jambons de montagne.

Je porte un regard sur mon pauvre toutou dont les sens sont bien trop excités et décide d'abréger le supplice de la frustration en rentrant au logement.

J'entends une voix qui me hèle. En me retournant, je constate que Mariam court vers nous en agitant ses bras.

— Où tu pars, Amélia ? demande-t-elle entre deux souffles.

— Me poser un peu, la route m'a fatiguée et je vais rentrer Stark.

— Je peux venir avec toi ? Ils sont gentils hein, déclare-t-elle en pointant la buvette, mais si je commence les vacances comme ça, je vais tellement grossir que mon mari va pas me reconnaître à mon retour !

J'accepte sa présence et rit de sa plaisanterie. Refermant la porte derrière Stark, je rejoins donc Mariam qui a approché deux transats de ma terrasse. Allongées toutes deux, nous profitons en silence de cet étrange mélange de calme et d'échos de bruits lointains, couvrant à peine ceux des oiseaux.

— C'qu'on est bien, soupire Mariam, mais dis moi ? Tu vas être toute seule ?

— Oui, mais ma sœur va venir passer quelques jours avec moi et j'ai plusieurs amis à Chambéry, ça devrait aller.

— Tu pourras venir avec nous aussi, si tu veux. Et puis, tu vas te faire des copains, t'es jeune toi !

Après deux heures passées avec Mariam, je rentre me reposer, une étrange lourdeur sur le cœur. Comme si la culpabilité me rongeait. Comme si profiter de la vie à nouveau était un affront que je lui faisais.

Je l'imagine souffrir pour cette vie qu'il ne vivra pas avec moi et même si je comprends que tout ceci n'est que délire, je pleure avec lui.

En silence, sans même réveiller Stark, je me prépare à me coucher en sanglotant. 

Après LuiDonde viven las historias. Descúbrelo ahora