Chapitre 4 *

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Au fil des réunions, mon esprit s'ouvre. C'est bien plus rapide que je ne le croyais. J'imagine que j'essaie d'être digne du cadeau, que dis-je, de l'investissement que ma famille a fait sur moi. Parce que oui, parfois, je sens bien que je me force. À parler, à décortiquer mes émotions, à penser autrement. 

Aurais-je agi de la même manière si ces ateliers étaient gratuits, sans doute que non.

J'admire Marielle et son énergie. Son organisation aussi. Cette façon de considérer chaque personne à son niveau. Elle parvient à travailler avec chacun d'entre nous, parfois en même temps alors que nous en sommes tous à des stades différents.

Latifah par exemple, continue de venir régulièrement même si, selon ses propres dires, elle n'en a plus besoin depuis longtemps. Elle m'a confié la dernière fois, qu'avec nous, elle pouvait parler de son Roger encore et encore sans percevoir de l'exaspération dans le regard de l'autre.

Pierre, lui, a perdu sa femme il y a deux mois de façon tragique et reste encore très choqué. Nous sommes toujours très ému quand il s'exprime. Avec lui, Marielle prend du temps et va à son rythme.

Pour ma part, Marielle m'a expliqué que je ferais un blocage en élastique.

Des efforts pour avancer : élastique tendu.

Si je relâche : l'élastique se resserre et je reviens pas loin de mon point de départ.

Cela a sans doute un nom scientifique, mais j'aime bien l'idée de l'élastique. Dans sa façon bien à elle de traiter les choses, elle m'a expliqué que mon but n'était pas de casser l'élastique, mais de l'assouplir pour le transformer en un ruban précieux. 

Dois-je préciser combien j'ai contenu mon cynisme ce jour-là ?

Les ateliers nous donnent des clés, à nous de les utiliser ou non. J'arriverais presque à « accueillir ma peine » comme le souligne Marielle. Cette façon de penser à l'être cher sans en souffrir, sans en être bouffé de l'intérieur. Le voir comme une belle personne que j'ai la chance d'avoir connue et aimée. Garder les souvenirs comme un trésor précieux, non pas comme un boulet.

Je ne suis pas certaine que ce mécanisme persiste si j'arrêtais de côtoyer le groupe. L'accompagnement me rend forte. Moi, je ne le suis pas.

— Pour cette dernière séance, je vous avais proposé d'amener un objet ou une photo qui vous faisait me plus penser à votre proche.

La voix de Marielle me fait sursauter et me ramène au présent quand je réalise que... Mince ! J'avais zappé.

Le stress commence à monter. Je le savais pourtant, elle l'avait dit ! Je voulais tant amener la boîte. Je suis à côté de la plaque ces derniers temps! Je n'aurais donc rien pour la séance d'aujourd'hui. Cela dit, pas totalement puisque Stark est là. Et même si j'arrive à le considérer comme mon chien, à présent, il fut pendant longtemps celui qui me ramenait à Fabien.

— Je me poste au fond de la salle pour travailler en individuel avec ceux qui ne voudraient pas partager devant tout le monde, énonce Marielle. Je prendrai dix minutes pour chacun. Pour les autres, vous allez le partager chacun votre tour et Ulrick encadrera l'atelier.

Ulrick ?

Mais, Ulrick n'est qu'un adhérent, pas vrai ? Pourquoi « vers » lui alors ? 

Il participe aux réunions comme nous depuis un mois, même s'il est vrai qu'il ne s'est encore jamais exprimé. Je ne comprends pas bien. Pire – je n'arrive pas à expliquer pourquoi – je me sens trahie.

Lui qui écoute en silence sans jamais rien dire, que fait-il depuis tout ce temps, il nous étudie ? Qui est-il ?

Après LuiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant