Vendredi 21 novembre - 7h21

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J'ai mis du temps. Mais je crois qu'il fallait que je le fasse.

J'ai mis du temps à me décider à mettre par écrit ma vie de merde. Car je sens que je suis en train de me perdre. J'ai besoin de déverser toute la haine que je contiens en moi depuis toutes ces années.

Je sens que je vais exploser.


La radio est en fond sonore. Je suis assis dans ma cuisine, un café trop fort posé sur la table en formica. Je viens de prendre ma douche, de mettre mon costume pour me rendre à mon travail.

Je n'ai pas forcément d'avance sur mon timing, mais j'ai décidé de prendre le temps de mettre par écrit sur mon ordinateur portable ce que je vis. Peut-être cela me servira-t-il de thérapie. Peut-être cela me sauvera-t-il ?


Pourquoi dois-je en arriver là ?

Parce que je ne vais pas bien. Parce que je ne suis pas bien. Je fais le même boulot depuis cinq ans, avec les mêmes collègues depuis cinq ans (avec lesquels je ne m'entends pas, d'ailleurs), les mêmes habitudes depuis cinq ans maintenant et pourtant, j'ai toujours cette boule au ventre qui me prend au moment de rejoindre cette bande de connards.

La sensation est la même que quand j'avais huit ans et que je devais me rendre à l'école où Jeffrey Bennett et sa clique m'attendaient pour me racketter et me casser la figure occasionnellement.

La même boule au ventre.

La même.


Pourtant, je n'ai plus huit ans. Je dois prochainement célébrer – n'importe quoi ! – mes trente-sept ans. Trente-sept foutues années de merde pendant lesquelles ma vie ne s'est résumée qu'à une succession de railleries, moqueries, tromperies et déceptions en tout genre.

Bordel !


J'ai été suivi par un psy pendant quelques temps. Je voulais comprendre comment j'en étais arrivé là et pourquoi les gens ne m'aimaient pas. Mais les trois séances auxquelles je suis allé n'ont pas été convaincantes. Le psy a bien tenté de mettre le doigt sur le fait que j'avais trois ans quand mon père était décédé, que ma mère l'avait rejoint il y a quatre ans maintenant, je crois qu'il n'a pas réussi à percer ma carapace. Peut-être ne voulais-je pas qu'il la perce.

D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours été solitaire. J'aimais bien rester dans mon coin, m'amuser seul. Je n'avais pas besoin des autres.

Autant quand on est gosse on peut s'en sortir comme ça, autant quand on grandit et qu'on devient adulte, la société nous oblige à être quelqu'un de social.

Je n'ai pas ce côté-là. Peut-être parce que je n'ai pas confiance en moi. Et en les autres.


J'ai subi pas mal de railleries quand j'étais adolescent, à cause de mon côté solitaire d'une part, mais il est vrai que mon acné, mes grosses lunettes à verre épais et ma coupe ringarde n'arrangeaient pas les choses. De plus, avec mes 40 kilos à 17 ans, je ne faisais peur à personne. Je ne pouvais même pas rendre les coups que je prenais.

Heureusement, il y a cinq ans, j'ai trouvé un boulot dans une autre ville à trois cents kilomètres de là.

Boulot de téléconseiller, payé le minimum syndical, mais qui offrait « une excellente ambiance de travail au sein d'une équipe jeune et dynamique » comme disait l'annonce.

Point of no returnWhere stories live. Discover now