Vendredi 21 novembre - 15h49 (Part 2)

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« Vas-y. Fais-le. C'est tout ce qu'ils méritent. Et c'est tout ce que tu mérites, toi ! » me soufflait une voix intérieure.

J'avais l'impression que ce moment était hors du temps. Comme irréel. Comme un rêve, où la notion de temps est distordue.

« Lève-toi et fais-toi plaisir. Prends le temps de les tuer. Que chacun comprenne bien ce qui lui arrive et pourquoi ça lui arrive. »

Oh oui, j'avais hâte de voir dans leurs regards leurs regrets pour toutes les saloperies qu'ils m'avaient faites. J'imaginais Patrick me suppliant de l'épargner, le visage défait.

Le Beretta était quasiment sorti de ma sacoche. J'ouvris les yeux. Tout le monde s'en était retourné à ses occupations, chacun à son bureau. Aucun ne se souciait de moi et de ce que je projetais de faire.

Je déposai délicatement le flingue dans la poche droite de mon imper et reposai ma sacoche sur le sol. Je les dévisageais toujours. Chacun avait l'air si concentré sur son travail. C'était presque trop facile.

« On s'en fout que ce soit facile ou pas. Pense à la putain de sensation que tu auras au moment d'appuyer sur la détente. Pense au bruit de cette fichue détonation. Pense à la cervelle de Patrick qui redécorera le bureau. »

Cette fichue voix intérieure avait raison.

Je me suis levé.

Ma respiration devenait toujours plus rapide, comme quand j'étais ado et que je devais présenter un exposé devant toute ma classe. Le même stress. Je pouvais sentir mes mains qui se mettaient à trembler un peu. Je les fourrai dans les poches de mon imper. Ma main droite entra en contact avec le flingue. Je l'empoignais à nouveau et expirai discrètement ma tension. De ma main gauche, je vérifiai une dernière fois ma coiffure, replaçai mes lunettes qui commençaient à tomber. Elles avaient toujours tendance à tomber un peu en avant sur mon nez quand je transpirais.

Je me suis avancé, lentement, dans la pièce, en direction du bureau de Patrick. Personne ne faisait encore attention à moi.

J'avançais vers Patrick, en le fixant du regard. Mon index droit se positionna sur la détente.

Je n'étais plus qu'à trois mètres de lui.

« Vas-y. Fais-toi plaisir. Eclate-lui sa gueule !!! »

Je me mis face à Patrick. Au bout de quelques secondes, il saisit ma présence et releva la tête.

« T'as besoin de quelque chose ? »

« Oh oui, j'ai besoin de quelque chose. J'ai besoin de me sentir bien et tu vas y contribuer. »

Je le dévisageais, mais je ne dis rien. Je me contentais de le fixer du regard.

« Sors ton flingue. »

Patrick paraissait emprunté.

« Simon ? T'as besoin de quelque chose ? »

C'était horrible. Je bouillonnais en moi. Je n'avais qu'une envie, sortir mon flingue et le descendre. Mais... Mais c'était comme si mon corps ne répondait plus à ce que ma tête ordonnait.

J'étais figé.

Debout devant le bureau de Patrick, les mains dans les poches de mon imperméable, tenant un flingue chargé, je ne pouvais plus bouger.

« Simon, ça va ? »

Il fallait que je trouve quelque chose à faire ou à dire. Le moment me sembla interminable. Mes lèvres commencèrent à bouger et j'ai eu la sensation que quelque chose allait enfin sortir de ma bouche.

« J'ai bien compris votre message, commençai-je. »

A ce moment-là, je ne savais absolument pas où allait me mener cette phrase, mais j'avais réussi à attirer l'attention de tout le monde.

« Vous voulez que je quitte ce travail. Le message est très clair. Je parie que vous faites ça pour mon bien. Je tiens juste à vous dire, que si je perds ce boulot, je perds mon appart. »

Je prenais bien soin de les regarder l'un après l'autre pendant que je débitais mon speech.

« Si je perds mon appart, je me retrouve à la rue, dis-je avant de faire une pause. Je veux pas me retrouver à la rue. Je préfère encore me tirer une balle que me retrouver à la rue. »

Sur ce, je rejoignis mon poste, pris ma sacoche et quittai la boîte. Sans me retourner.

J'appelai l'ascenseur. Je leur tournais le dos, mais, mâchoires serrées, je dus me retenir pour ne pas craquer. Je me sentais terriblement nul de n'avoir pas eu les couilles d'aller au bout, de sortir ce putain de flingue et d'exiger le respect de mes collègues.

Je ne suis qu'un loser.

En ce moment, une idée me trotte dans la tête : lever mon cul de cette chaise, m'emparer de ma sacoche, sortir le Beretta, le fourrer bien profond dans ma bouche.


Et tirer.



Point of no returnWhere stories live. Discover now