Dimanche 23 novembre - 20h14 (Part 2/3)

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Deux autres mots ont alors noirci le bouton rectangulaire : Invitation envoyée.

J'ai cru me voir écarquiller les yeux, à l'apparition de ces deux mots. La même réaction que quand je m'étais pris mon premier coup de poing dans le bide par Jeffrey-l'Homophobe. Le souffle coupé, les yeux écarquillés. Oui, c'était bien ça. Je venais de me prendre un coup dans le bide. Sauf que celui-là, j'en étais responsable. Pleinement responsable.

Mon cœur parut s'accélérer de cinquante pulsations minute. Au moins.

Je venais peut-être de faire une connerie. Si je passais chez Julie maintenant et qu'elle m'avait snobé sur Facebook entretemps, il y aurait comme un malaise, une gêne. Son regard la trahirait. Ou son sourire.

Le jour où Patrick avait ruiné ma déclaration, rose à la main, elle avait eu ce sourire gêné lorsque tout le monde avait rejoint sa place pour bosser. Et autant son sourire naturel, franc, me faisait chavirer, autant son Sourire-Chuis-Désolé me donnait l'envie de gerber et de me cacher au fond d'un placard bien sombre.

« Au moins, tu seras fixé. »

J'ai refermé mon ordinateur, comme si cela pouvait annuler ce que je venais de faire. Je savais bien que c'était trop tard. Julie recevrait ma demande quoiqu'il arrive maintenant. Et même si je l'annulais, il était probable qu'une notification lui ait déjà été envoyée dans sa boîte mail. Le sort en était jeté. Autant ne plus toucher à rien.

Et puis, à y bien réfléchir, je crois que je ne voulais pas l'annuler, au fond de moi, cette demande. Ma voix intérieure avait raison : il fallait que je sache, que je sois fixé.

Comme je sentais que je me mettais à cogiter plus que je ne l'aurais dû, je me suis forcé à quitter mon appart et à attraper ce foutu bus 99.

Il ne me restait plus que trois arrêts avant d'arriver. Je m'inquiétais encore des conséquences que pourrait avoir cette demande Facebook, quand je me suis mis à gamberger sur ce qui allait se passer, là, dans quelques minutes, quand je me présenterais devant sa porte.

Qu'est-ce que j'allais lui dire ? M'accueillerait-elle avec un sourire – et lequel ? Serait-elle seule chez elle ? Et si un mec m'ouvrait la porte ? Son mec ? Qu'est-ce que je lui dirais ? Il fallait que je songe à cette éventualité. Qu'est-ce que j'aurais pu inventer qui aurait justifié ma présence devant son appartement ?

Je dus sortir de mes pensées : le bus venait d'atteindre mon arrêt et j'abandonnai rapidement ma place.

Dehors, un petit crachin tombait sur le quartier grisâtre où vivait Julie. C'était un quartier qui se trouvait en périphérie de la ville, fait de petits immeubles qui devaient tous datés de la fin des années cinquante. Depuis l'abribus où je m'étais mis à couvert en attendant que le bus redémarre pour poursuivre son itinéraire, je pouvais voir son immeuble : un bâtiment à l'allure vieillotte dont les murs, probablement blancs soixante ans plus tôt, avaient quelque peu noircis au fil du temps et de la pollution. L'immeuble comptait sept étages et Julie occupait un logement au troisième.

Je le savais car j'étais déjà venu plusieurs fois jusqu'à cet arrêt de bus.

Pour voir où elle habitait.

Pour espérer l'apercevoir quelques secondes, surtout quand je n'avais rien à faire chez moi certains dimanches après-midis.

Il m'était arrivé de m'aventurer jusqu'au pied de son immeuble, de lever les yeux vers les fenêtres du troisième étage et de m'imaginer Julie en train de s'affairer dans son appartement. Souvent, les stores du troisième étage, composés de lames en bois reliées par des maillons en acier, étaient baissés. Julie était peut-être une adepte de la sieste dominicale, ou alors elle était du genre à partir le week-end avec son amoureux, loin d'ici.

Point of no returnWhere stories live. Discover now