Samedi 22 novembre - 23h17 (Part 1)

396 53 17
                                    



Je souffre.

Physiquement.

Le genre de sensation que je n'avais plus connue depuis la fameuse époque où je côtoyais Jeffrey Bennett.

Je me souviens que parfois, lui et sa clique me prenaient un peu à l'écart, le matin, avant le début des cours, généralement quand il faisait beau, et me tabassaient – gratuitement, pour le plaisir – à coups de pieds dans le ventre, de façon à ce que ça ne se remarque pas pendant les cours. Je me souviens du sourire sur leurs visages quand ils se défoulaient sur moi. Je me souviens de leurs rires de débiles, de la façon qu'ils avaient de se congratuler, après le spectacle, quand ils avaient décidé que j'en avais assez pris.

Je m'étais surpris une fois à demander à Jeffrey ce que je lui avais fait, pourquoi il me passait à tabac avec ses amis. Il s'était fendu d'un sourire.

« Parce que t'as pas d'couilles. T'es qu'une gonzesse. Et c'est ce qui doit arriver aux mecs qui ont pas de couilles. »

C'est ce qui doit arriver aux mecs qui ont pas de couilles. Je me souviens de cette notion de « devoir ». Du coup, ça ne m'avait que moyennement surpris d'apprendre, quelques années plus tard, qu'il avait eu des problèmes avec la justice pour des actes homophobes. La justice ne devait pas avoir la même définition du « devoir » que Jeffrey.

Sauf qu'il n'y avait pas de justice à l'époque pour réprimander ce connard.

C'était de ma faute. A chaque fois qu'ils me frappaient, je n'avais pas les couilles de les dénoncer, que ce soit à un prof, au directeur ou même à ma mère.

Je crois que j'avais peur des représailles. Car une fois que j'étais dans l'enceinte de l'école, je n'avais plus personne pour me protéger. J'étais seul.

Du coup, Jeffrey avait peut-être raison. Je n'avais pas de couilles. Et les coups que je prenais, eh bien je les méritais sans doute, finalement.

Ce soir, j'ai la même douleur au ventre que lorsque je prenais les coups que je devais prendre à l'époque.

Je me suis pris quelques médocs pour atténuer la douleur.

Mais j'ai mal.


D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours détesté les lavomatics. Et celui qui se trouvait à deux pas de chez moi ne dérogeait pas à la règle.

Il y avait le lieu d'abord.

Petit local sans âme ni décoration – si ce n'est les panneaux informant les précautions d'usage pour les machines et les tarifs -, où s'alignaient une dizaine de lave-linge paraissant tous d'un autre temps. Deux petites rangées de bancs, à moitié esquintés de part et d'autre, partageaient le local en deux. Les murs blancs, enfin, plutôt beiges avec le temps, ainsi que les néons avec leur lumière blanchâtre rendaient l'endroit presque lugubre, d'autant plus si on y passait le soir. Le sol, un carrelage qui avait dû être blanc lui aussi à une époque, était le plus souvent sale et poisseux.

Il y avait la notion de temps ensuite.

Le temps qui semblait s'arrêter dès qu'on passait le pas de la porte de ce local pourri. J'avais beau n'avoir qu'une machine à lancer, le temps me paraissait long, assis comme un con, à attendre que le programme se termine.

Assis comme un con, à regarder je ne sais combien de fois les tarifs – je les connaissais par cœur, à force - affichés sur un des murs, à regarder un à un les lave-linge pour bien constater qu'ils étaient tous identiques.

Point of no returnWhere stories live. Discover now