Dimanche 23 novembre - 20h14 (Part 1/3)

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J'avais eu tout le temps de gamberger pendant que j'étais assis dans le bus 99 qui m'emmenait chez Julie.

Le trajet ne devait pas durer plus de quinze minutes – le dimanche, ça roulait plutôt bien. Le bus n'était pas bondé et j'avais pu trouver une place assise que je ne craignais pas de devoir céder à un petit vieux.

Mon regard tourné vers l'extérieur, voyant défiler les arrêts où personne ne descendait, je gambergeais, donc.

Sur plusieurs points.

Avant de me retrouver le cul vissé sur ce siège en tissu, d'un vert immonde, quadrillé de lignes rouges, qui n'avait jamais dû être à la mode, j'avais eu l'envie de traîner sur Facebook et d'errer une énième fois sur le profil de Julie.

La plupart de ses infos étaient verrouillées. Je le savais. Je ne m'attendais pas à en découvrir davantage aujourd'hui et je m'étais fait à l'idée de m'en contenter.

Je ne pouvais que visualiser sa photo de profil, qu'elle n'avait pas modifié depuis plusieurs semaines et sur laquelle mon regard s'était déjà perdu des heures.

Il s'agissait d'une photo d'elle, en noir et blanc, en plan rapproché. Elle portait un pull de couleur sombre – probablement mauve, elle en avait déjà porté un semblable au bureau – en laine, à grosses mailles. Chacune de ses mains agrippait le bras opposé, comme si elle avait froid. Sa tête légèrement penchée vers l'avant, son regard vers le sol, elle souriait.

LE fameux sourire.

Celui qui me faisait fondre.

Ou plutôt, elle semblait rire. Oui, c'était plus un rire. Un rire qui laissait paraître ses belles dents blanches parfaitement alignées.

Quelque chose ou quelqu'un la faisait rire.

Elle était magnifique, simplement magnifique, avec ses cheveux courts, noirs ébène, dans un style coiffé-décoiffé.

Mais impossible d'avoir d'autres informations sur elle. Avait-elle posté d'autres photos d'elle ? Avait-elle partagé ses goûts musicaux, littéraires ? Ses sorties ?

Que publiait-elle sur son mur ? Etait-elle du genre à mettre des conneries comme : « Ma vie est compliquée : aucune de mes chaussures ne va avec ma nouvelle robe !! », le tout suivi de plusieurs smileys tristes ou horrifiés ? Ou était-elle plus adepte de pensées philosophiques du style : « Il y a quelque chose dans la persévérance qui finit par obliger le destin » ?

Il n'y avait même pas moyen d'avoir accès à sa liste d'amis. J'étais presque convaincu que Patrick, Frank et Carine devaient en faire partie. C'était obligé. Peut-être même qu'ils s'échangeaient des messages ou des blagues à mon sujet. Je pouvais deviner les intonations de la voix de Patrick à ce petit jeu-là ainsi que son petit rictus de vainqueur.

« Tu m'en veux pas d'avoir gâché ta déclaration, dom Juan, hein ? »

Connard.

Pourtant, très vite, j'oubliais Patrick. Sans le vouloir, mon attention s'était focalisée sur un petit bouton rectangulaire qui se trouvait sur la photo de couverture de Julie – qui était elle aussi inaccessible. Il n'y avait que le pictogramme d'une personne en ombre chinoise agrémenté d'un plus ainsi qu'un mot d'inscrit. Un seul.

Ajouter.

Avant d'avoir eu le temps de penser à quoi que ce soit et sans que je m'en rende compte, la flèche sur mon écran se retrouva sur le bouton, ce qui le fit virer du blanchâtre au grisâtre, mais dont le mot ne changea pas.

Ajouter.

J'hésitais à cliquer.

Envoyer une demande d'ami à Julie me paraissait trop... intrépide. Et si elle la rejetait ? Comment pourrais-je me pointer au boulot, sachant qu'elle aurait décliné mon invitation et qu'elle aurait probablement partagé mon audace avec mes merveilleux collègues ?

« Ouais, mais si elle acceptait ? »

J'avais l'impression que cette demande avait presque le poids d'une déclaration, chose que je n'avais jamais faite de ma vie. Comment aurais-je pu en arriver là de toute façon ? Avec ma timidité maladive, ma maladresse, ma nervosité excessive quand je me retrouvais en tête à tête avec une fille.

Avec ma gueule.

Comment aurais-je pu en arriver là ?

Aujourd'hui, devant mon écran, cela me paraissait davantage dans mes cordes. Et puis, ce n'était pas vraiment une déclaration. Juste une demande d'amitié.

« Alors, clique ! Fais-le, puisque c'est juste une demande d'amitié ! »

Une demande d'amitié, oui, mais qui pouvait conditionner une déclaration.

Je posai fébrilement mon index sur la souris. Mon pouls s'emballa doucement, ce qui sembla réveiller ma douleur à l'abdomen, malgré les médocs que j'avais repris une vingtaine de minutes plus tôt. Et je n'eus pas besoin de soulever une nouvelle fois mon sweat noir pour savoir qu'un magnifique hématome s'y dessinait toujours.


J'ai cliqué. 



Point of no returnWhere stories live. Discover now