Vendredi 21 novembre - 21h11 (Part 2)

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J'empoignai le Beretta et commençai à le diriger vers ma tempe droite.

Mon cœur battait à nouveau plus rapidement. Je compris que tout allait bientôt se terminer lorsque je sentis le bout du canon entrer en contact avec ma tempe. Il était froid.

Je ne sais pas pourquoi, mais à ce moment précis, ce qui me vint en tête furent des préoccupations complètement connes : est-ce que j'avais bien payé ma facture d'électricité, est-ce qu'il ne restait pas de vaisselle dans l'évier, est-ce que j'avais bien pensé à jeter mon linge sale dans la corbeille...

Toujours en sentant le bout du canon contre ma tempe, je lançai un coup d'œil à mon ordinateur posé au pied du lit. Je vérifiai qu'il était bien ouvert sur le dernier article que j'avais écrit concernant ma vie délurée.

Tout était en place.

Il ne restait plus qu'à exécuter le geste final.

Celui qui vous libère de tout.

J'avais l'impression qu'il faisait soudainement chaud dans la chambre. Le radiateur avait été coupé depuis pas mal de temps et il ne devait pas faire plus de sept degrés dehors à cette heure-ci où la nuit ne tarde généralement pas à tomber. De plus, sous les couvertures, je ne portai que mon caleçon. Mais il faisait chaud.

Je posai mon index sur la détente.

On dit qu'au moment fatidique, vous voyez votre vie défiler devant vous.

J'ai rien vu de tout ça.

J'étais dans le moment présent.

Je me voyais presque, allongé dans mon lit, me pointant un Beretta sur la tempe. C'est ça que je voyais en ce moment. Je me voyais appuyer sur la détente, ma tête éclater en se répandant partout dans la chambre. J'imaginais le silence qui allait régner juste après le coup de feu. Le ronron de mon ordinateur, au pied du lit. Le robinet de la salle de bains qui gouttait. Le tic-tac de la petite horloge murale qui pendait à la cuisine. Le bruit de la clé dans la serrure, lorsque mon voisin rentrerait de ses cours.

D'ailleurs, mes voisins, auraient-ils entendu quelque chose ? Est-ce que j'allais baigner dans mon sang tout le week-end ? Toute la semaine ? Qui serait le premier à découvrir mon corps ?


On sonna à ma porte.


C'était tellement inattendu que cela m'a fait sursauter, manquant de peu me faire appuyer sur la détente. Personne ne sonne jamais à ma porte. Que ce soit pour un service ou pour se plaindre.

Jamais.

J'attendis un peu, restant immobile, le canon du flingue contre ma tempe. La sonnerie ne se répéta pas. Je l'avais peut-être rêvée. Dans mon ultime lâcheté à ne jamais aller au bout des choses, j'avais peut-être voulu entendre quelque chose pour repousser l'échéance. Une sorte de procrastination en matière de suicide.


Nouveau coup de sonnette.


Je me décidais à aller ouvrir. Sans doute s'agissait-il d'une erreur. Je pensais renvoyer rapidement la personne et venir finir le travail dans ma chambre.

Je posai le flingue sur la table de chevet, enfilai rapidement des vêtements et me rendis à la porte d'entrée. Je jetai un œil à travers le judas.

C'était Julie.

Que faisait-elle ici ? Comment était-elle arrivée jusque sur mon palier ? Etait-ce un de ces signes que l'on veut voir pour se persuader que tout n'est peut-être pas à jeter dans la vie ? Le fait est qu'elle était là, sur le pas de ma porte, en ce moment.

« Simon ? Ouvre-moi, je sais que t'es là ! »

C'était bien la première fois que je l'entendais me supplier. J'hésitais. D'un côté, il y avait Julie, qui venait pour la première fois jusqu'à mon appartement – elle devait sûrement avoir quelque chose de très important à me dire, et de l'autre, j'avais mon arme, posée sur ma table de chevet et qui attendait que je me serve d'elle.

Je me décidai à entrouvrir la porte. Je découvris Julie, habillée d'un trench - je connaissais ce mot grâce aux magazines de vente par correspondance que je feuilletais de temps en temps, un trench beige qui laissait entrevoir ses jambes magnifiques. Elle tenait un petit sac de la main gauche. Je tentais de ne pas trop la « scanner » du regard, mais elle était si belle.

« Salut, me lança-t-elle. »

J'étais heureux de la voir. Après ce qui s'était passé cet après-midi au bureau, j'étais vraiment content de la voir là, devant ma porte.

D'un côté, je le savais.

Je savais qu'elle n'était pas comme les autres. Qu'elle était quelqu'un de bien. Je l'avais toujours senti. C'est peut-être pour ça que j'en étais amoureux. Mais bien que j'étais content de la voir, je me forçai à me montrer agacé.

« Qu'est-ce que tu veux ?

- Ecoute, je crois qu'on a un peu dépassé les limites. On a jamais voulu te faire virer. Patrick et Carine ont lancé le sujet comme ça et je crois que ça a un peu dégénéré. Mais faut que tu saches qu'on est désolés. »

Elle avait l'air sincère.

« Evidemment qu'elle est sincère ! Tu crois qu'elle serait venue jusque chez toi si elle se foutait de ta gueule ? »

« Tu parles en leur nom ? Ils sont désolés ? Pourquoi ils sont pas là avec toi ?

- On en a discuté après ton départ, continua-t-elle après un petit moment de réflexion. On est conscients qu'on a été trop loin et au nom de toute l'équipe, je te présente nos excuses. Ca ne se reproduira plus, je te le promets. On veut pas que tu quittes ton travail. »

Je baissai mon regard. J'avais envie de croire en sa sincérité. Car c'était quelqu'un de bien.

Et parce que j'en étais fou amoureux.

Je mettrai plus en doute la sincérité des excuses de Carine, Patrick et même de Franck. Mais pas Julie.

« Ok, dis-je en la regardant droit dans les yeux, qu'elle avait magnifiques.

- Super. On se voit lundi alors ? me sourit-elle. »

Ce sourire me faisait fondre. Il m'aurait fait faire n'importe quoi.

« Bien sûr.

- Très bien. Je te dérange pas plus longtemps ! »

« Tu me déranges pas, putain ! Rentre un instant, passe la soirée avec moi. Passe la soirée avec moi si tu veux vraiment t'excuser ! »

« Ok, répondis-je stupidement.

- A lundi ! »

« Demande-lui ce qu'elle fait ce soir ! Bon sang, demande-lui ce qu'elle fait ce soir !! »

« A lundi. »

Elle partit et je refermai la porte.

Je restai adossé à celle-ci, presque groggy. Je me surpris à sourire en analysant ce qui venait de se passer.

Heureux.

J'étais heureux qu'elle soit passée. Elle avait pris la peine de venir me voir, de voir comment j'allais. Peut-être que mes sentiments pour elle commençaient à devenir réciproques ? Pourquoi serait-elle venue sinon ?

J'étais persuadé que je pouvais la rendre heureuse. On était faits l'un pour l'autre. J'en étais d'autant plus convaincu après sa visite.

Demain, j'irai la voir. Chez elle. Et je le lui dirai.

Elle sera surprise de me voir.

J'en suis sûr.




Point of no returnWhere stories live. Discover now