Chapitre 3 : My least favorite life

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Ce chapitre est inspiré de faits réels. 

Mon mal vient de plus loin.

- Phèdre, Racine


Julia ouvrit les yeux avec précaution, une horrible douleur lui ayant foudroyé le crâne au moment même où ses pensées avaient regagné un état de conscience. Elle réorganisa peu à peu la disposition floue des éléments de la pièce dans son esprit. Il lui arrivait parfois encore très souvent de la confondre avec son ancienne chambre. Le soleil dévoilait l'environnement de l'adolescente comme tous les matins – de sa bibliothèque branlante à son pouf à billes recousu – par les interstices de son vieux volet manuel. Elle remarqua la flasque argentée au pied de son lit et émit un grognement. Elle avait oublié de la ranger dans son sac avant de se coucher. Si sa mère la découvrait, elle pouvait être sûre qu'elle installerait l'un de ces horribles télécrans dans sa chambre comme il en existe dans celle de Winston de 1984 : « BIG MOTHER IS WATCHING YOU »¹

- Arthur, t'as mis où l'autre chaussette ? s'exclama-t-elle d'ailleurs à travers l'appartement.

Julia fronça les sourcils et enfonça son visage dans son coussin, irritée au simple son de cette voix. La dictature n'impose aucun répit, même aux heures les plus avancées...

Soudain, dans un éclair de lucidité, elle attrapa son portable sous le traversin.

Elle ne parvint pas à l'allumer et elle pressentit immédiatement qu'il n'avait plus de batterie.

Si Arthur était déjà levé, cela ne pouvait signifier qu'une chose : elle était dans une merde noire.

Après avoir marmonné quelque chose d'incompréhensible, elle sauta de son lit pour embarquer sa tenue de la veille dans la salle de bains et rattraper tant que possible son retard. Au passage, elle n'oublia pas de cacher la flasque dans son sac.

Cinq ou sept minutes plus tard, elle s'arrêta dans le couloir adjacent à la petite cuisine pour enfiler des baskets, les cheveux encore dégoulinants.

- T'es pas un peu en retard ? lui demanda sa mère, assise sur une chaise pliable, en train de boire son café sur la seule minuscule table de pique-nique qui se trouvait dans la cuisine, si du moins on pouvait l'appeler ainsi. Elle semblait étonnée.

- Sans blague ? rétorqua Julia avec sarcasme, et peut-être un peu de mépris.

Sa mère ne releva pas son agression et secoua la tête tout en regardant Arthur enfiler son manteau.

Sac sur l'épaule, Julia sortit sans dire un mot du 45 m². Quelques années plus tôt, son cœur se serait resserré de douleur à l'idée d'avoir quitté si froidement sa mère. Ce n'était plus qu'un pincement vague, qu'elle avait peut-être même imaginé.

Une fois entrée dans l'ascenseur, elle appuya sur le bouton correspondant au rez-de-chaussée et elle patienta en essayant d'éveiller son cerveau encore endormi.

Quelques matins dans la semaine, Julia avait la chance de tomber sur un ascenseur propre. Les autres jours, de vieux mégots étaient écrasés au sol et des relents d'une senteur proche de l'urine lui faisaient préférer l'escalier au retour. Ce matin faisait bien heureusement parti des bons matins.

À l'étage inférieur, une femme pâle, titubante et mal entretenue se joignit à elle. Julia tenta de ne pas la dévisager pour rester polie mais la lueur de son visage gras attira son regard. L'odeur de tabac qui se dégageait de son vieux pull en laine arriva jusqu'à ses narines et la répugna beaucoup plus qu'elle ne lui donna envie de fumer sa cigarette matinale. L'odeur de bière, elle, lui donna la nausée. Elle n'osa en aucun cas jeter un dernier coup d'œil à ses cheveux mi-long d'un noir grisonnant. Elle tapa nerveusement du pied en attendant d'arriver en bas (un mauvais tic d'anxiété qu'elle avait attrapé pendant l'enfance et qui s'était accentué depuis) et elle repensa à la prise de tête que sa mère lui avait gracieusement offerte la veille au sujet de l'heure tardive à laquelle elle était rentrée.

Parle-moi du bonheur (professeur-élève) - TERMINÉEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant