Chapitre 22 : Vers la folie et ses soleils

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Je t'adore à l'égal de la voûte nocturne, 

Ô vase de tristesse, ô grande taciturne, 

Et t'aime d'autant plus, belle, que tu me fuis, 

Et que tu me parais, ornement de mes nuits, 

Plus ironiquement accumuler les lieues 

Qui séparent mes bras des immensités bleues. 


Je m'avance à l'attaque, et je grimpe aux assauts, 

Comme après un cadavre un chœur de vermisseaux, 

Et je chéris, ô bête implacable et cruelle ! 

Jusqu'à cette froideur par où tu m'es plus belle !


Je t'adore à l'égal..., Les Fleurs du Mal, Charles Baudelaire.


Un regard extérieur, même aguerri, n'aurait pu dire qu'Alessandro et Julia étaient heureux de se revoir le lundi matin, lorsque la jeune fille passa les portes de la salle de classe, la tête baissée.

- Écouteurs, s'il-vous-plaît, lui avait-il dit d'une voix ferme, et elle s'était contentée de les retirer, avec un brin de nonchalance, avant de s'asseoir à sa place habituelle. Lorsqu'elle le regarda enfin, depuis sa place, le professeur accueillait d'autres élèves tout en gardant un œil sur sa liste d'appel. Le temps d'une seconde, il fut happé par ce regard au loin, mais il retourna aussitôt à ses feuilles et d'une tape dans les mains, il lança le cours de la journée, qui s'annonçait bien rempli. Plusieurs fois, lorsqu'il avançait dans les rangs, leurs regards se croisaient, mais ne laissaient rien paraître, pas même le fantome du sourire qu'ils voulaient s'adresser ; ils gardaient leurs secrets. Aussi, Julia sortit de classe comme elle y était entrée, sans un mot ni un regard au professeur, ce qui ne déplut pas à Callini.


***


La fin de journée était arrivée, et Alessandro attendait son élève devant la bibliothèque universitaire de la ville, occupé à lire. Dix-sept heures dix, quinze, dix-huit.... Il jeta un dernier coup d'œil à sa montre, et à contre-coeur, il se résolut finalement à entrer. Elle ne viendrait pas aujourd'hui. Il s'installa à une table de la bibliothèque, rechercha quelques ouvrages dans les rayons, et se mit au travail. Il se perdit très vite dans de passionnantes lectures scientifiques, et lorsqu'il leva les yeux, cherchant à suivre une idée qui menaçait de lui sortir de la tête, il tomba avec surprise sur la silhouette de Julia, qui déposait des livres à l'accueil. Son idée lui échappa, mais il ne s'en formalisa pas. Lorsque la bibliothécaire remercia la jeune fille, il la vit remettre son sac sur son épaule, faire un pas vers la grande salle. Elle releva le visage et ne tarda pas à rencontrer son regard expectatif. C'est l'expression sereine qu'elle s'approcha et s'assit en face de lui. 

Ils échangèrent un bref « bonjour », le premier de la journée. Alessandro dissimula son contentement intérieur. Elle était venue. Par une quelconque magie, il était parvenu à la convaincre. Il s'empressa de sortir d'une pochette cartonnée l'activité qu'il lui avait préparée et il la lui mit sous les yeux. Julia le remercia d'un regard, puis elle sortit ses affaires en silence, enfonça des écouteurs dans ses oreilles, et se mit au travail. 

Parle-moi du bonheur (professeur-élève) - TERMINÉEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant