La foudre est tombée deux fois

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Je suis dans le bus les écouteurs bien enfoncés dans les oreilles. D'habitude je roupille parce que de toute façon c'est au terminus que je descends, mais aujourd'hui j'y arrive pas. Trop de monde, trop de bruit, trop de tremblements, trop de lenteur à cause de la pluie, trop de groupes d’amis qui se plaignent entre eux, trop de tout.
L’orage de cette nuit m’a tenu éveillé, j'ai à peine dormi et je suis sûr que mes yeux sont d'un rouge vif à faire peur. Je suis exténué mais impossible de fermer les yeux. Allez savoir pourquoi. Peut-être qu'ils savaient d'eux-mêmes qu'ils devaient rester ouverts pour ne pas la rater.

Parce que oui, le bus vient de s'arrêter et une flopée d’humains est montée dans la carlingue qui vibre sans cesse. Des jeunes et des moins jeunes, sac à dos ou à mains, ils sont pratiquement tous équipés comme moi, parce que c'est mieux pour être coupé du monde, de ne rien entendre d’autre que ce qu’on a choisi. C'est comme ça maintenant.
Même le quadragénaire qui vient de valider son ticket en a aussi. Est-ce qu'il écoute du claude François avec son mobile high-tech? Ou plutôt du David Guetta comme moi? Ça pourrait presqu’être marrant de lui demander. Mais mon cerveau est attiré par autre chose.
Une jeune fille d’à peu près mon âge vient de passer la double porte. Elle a scanné sa carte dans un geste machinale, sans même regarder. Une habituée que je n'ai pourtant jamais vu avant. Je m'en serais souvenu! Elle est habillée simplement. Jean et tee-shirt avec une veste par dessus à cause du crachin qu'on a depuis ce matin. Mais ce n'est pas ce qui me frappe. Elle n'a ni boucle d'oreilles, ni bague, ni collier. Aucune fioritures. Pas de maquillage non plus. Rien comme peinture abondante que les filles aiment à arborer en règle général. Elle est d'une simplicité désarmante et je trouve ça charmant. Je la détaille un peu plus et son regard me paralyse. Ses yeux gris, presque transparents ont rencontré les miens. Elle se détourne très vite et penche la tête. Ses cheveux cuivrés sont assemblés en tresses mais quelques mèches lui tombent sur le front. Je l'ai peut-être gênée mais moi, je n'arrive pas à détacher mon regard.
J’ai tout à coup envie de la rejoindre, de lui parler et d’apprendre à la connaître. Et si j'allais lui demander son prénom ?

Impossible. Je suis bien trop timide pour ça... C'est dommage.
Un éclair vient de s’abattre sur moi, droit dans la poitrine. Il a profité pour court circuiter mes neurones et se loger dans le creux de mon ventre. Un aller-retour survolté.

Alors c'est ce qu'on appelle le coup de foudre?

Sur le trajet, la pluie a redoublé d’intensité mais je n’y prête guère attention, trop accaparé par ce visage déroutant de sobriété et d’élégance. J’enregistre quand même les flashs lumineux à l’extérieur, ponctués par des grondement sourds que j’entends malgré ma playlist qui tourne en boucle .
Soudain un coup de tonnerre assourdissant éclate, transperçant la quiétude qui nous entourait. Le conducteur sursaute et fait une embardée monstrueuse.
Je ne sais pas d’où sortent les conneries de la vie qui défile à toute vitesse parce que tout ce que je vois moi, c’est un ralentit atroce. Tout semble se figer: les cris, la frayeur, les visages effarés; les émotions sont comme suspendues. Je sens le bus déraper puis se retourner dans une lenteur extrême.
Et c’est là que l’horreur se produit sous mes yeux. Les actions se déroulent en accéléré maintenant. Ma belle inconnue qui était debout, appuyée nonchalamment contre une barre, est violemment projetée en arrière puis tout de suite en sens inverse. Sa tête cogne la vitre et elle retombe lourdement sur le sol sale de notre moyen de transport. Elle ne bouge plus du tout. Plus d'elle même en tout cas. Ses magnifiques yeux sont ouverts, mais éteints à jamais. D’ici je le vois, l’issue fatale est là. Sa poitrine ne se soulève pas. Pas même un peu ou faiblement. Il n’y a rien qui passe dans ses poumons. De là où je suis, je vois qu’elle est morte. Et je ne comprends pas pourquoi mais je pleure. Je ne la connaissais pas mais je pleure. Mon coeur se serre et se comprime mais je ne détourne pas les yeux. Elle semblait être si douce, si gentille. Je le sais, j’en suis certain. Et j’ai mal, de plus en plus mal. En fait je suffoque. J’essaye de prendre une grande inspiration mais c’est douloureux non d’un chien.

Autour de moi le temps à repris son cours normal et je détache enfin mon regard du magnifique cadavre pour observer. La machine roulante est sur le côté, il y a du sang et des cris partout. Je me souviens de tous les films que j’ai regardé avec mon frère et mes parents, et d’un coup, je prie pour que rien ne prenne feu, pour qu’on explose pas.
Est-ce que c’est comme ça que je vais finir? En simple brume rose, mélangé à d’autres morceaux? J’essuie péniblement mes larmes avec le revers de ma main. Ce geste pourtant si simple me déclenche une vive douleur.
Et pourquoi diable je n’arrive pas à respirer correctement?

Inconsciemment, je savais, je sentais que quelque chose n’allait pas. Je refusais simplement de l’accepter. Il y avait suffisamment de malheur à mes côtés, pas la peine d'en rajouter.
Mais je baisse quand même les yeux sur mon propre corps, histoire de faire un inventaire, de répertorier les dégâts. Et ce que je vois me laisse perplexe.

Il y a une barre de fer, tordue et détériorée. Elle s’est logée en travers de mon corps, à l'intérieur de ma poitrine. Et mon sang s’écoule tout autour.


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Voici donc le texte que j'ai écrit pour le premier round du tournoi des 24 plumes de PtiteRenarde.
Je participe avec DreamEatRead11 alors n'hésitez pas à aller jeter un oeil, nous soutenir et même participer en tant que lecteurs.

Biz  😘

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