Par delà le soleil du matin

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Je sens que Brandon va encore m'engueuler parce qu'évidemment je suis encore en retard.
Je me dépêche hein, faut pas croire. C'est juste que me faire lever avant six heure du matin pour une pseudo randonnée le premier jour des vacances, c'est un peu abusé non?
Moi j'avais dans l'idée de végéter dans le fond de mon lit jusqu'à midi grand minimum, au lieu de quoi, je me retrouve à farfouiller dans mon placard, à la recherche d'une chaussure adéquate.
Pourquoi j'ai accepté ce programme déjà ?
Ma conscience s'empresse de me répondre que je suis complètement in love de mon meilleur ami et que de fait, je ne lui refuse jamais rien.
Je rougis violemment en secouant ma tête.
- Toi on t'a pas sonné! Je chuchote en enfilant rapidement mes godasses pour rejoindre enfin Brandon.
Jetant un dernier coup d'oeil à mon lit, je lâche un soupir de désespoir alors qu'il semble me crier Reste !

L'air froid de ce matin me mordille allègrement le visage, comme pour annoncer que l'hiver ne va pas tarder. Je peste encore un peu contre l'heure, le temps, le soleil qui lui ne se soucie de personne et se lève quand il en a envie, un peu aussi contre Bran qui a des idées épuisantes et pour finir contre moi-même qui n'arrive même pas à lui dire trois petits mots. Ma conscience affiche un air niais mais au final je sais bien que c'est le noeud de mon problème. Ça fait un moment que j'essaie de dire à Bran ce que je ressens pour lui...

Je remonte ma capuche et ajuste mon châle en arrivant à la gare. Le vent est toujours plus désagréable ici.
À l'arrêt Saint-Jacques Lash je reçois un message T'es ou?
Je souris parce que je trouve que ça a tardé. Pourtant son message m'interpelle. Pas de p'tit nom amical, pas de blague, pas de smiley... C'est plutôt étrange de sa part. Mais je préfère garder à la tête une image de lui au pied de la colline, tournant en rond et soufflant bruyamment pour tromper son impatience.
Bon, moi j'habite pas à deux pas du mont Matiel, je contrôle pas les transports en commun hein ! Je suis presqu'arrivée, j'allonge mes foulées et je reconnais sa silhouette au loin.

- Bran ! C'est bon je suis là, on peut y aller mais franchement on aurait pu faire ça plus tard, genre avec du soleil ou même avec un petit déjeuner dans le...

J'arrête net ma stupide logorrhée quand il redresse sa tête, plongeant ses yeux dans les miens.
Son visage est tuméfié, sa bouche, sur laquelle j'ai tant fantasmé, est gonflée et partiellement violette. Ses yeux chocolat sont cerclés de rouge vif, transpirant une douleur intense que je n'avais jamais vue auparavant.
Mais qu'est-ce qui s'est passé ? Voilà ce que j'ai envie de lui crier, à lui, et au monde entier mais son regard me dissuade d'ouvrir la bouche à nouveau.
Je me rapproche de lui, tendant les bras pour le serrer contre moi mais il ne se laisse pas faire, se dégageant de mon étreinte en gémissant.
Qu'est-ce qu'il me cache encore sous cette veste? Je l'ai à peine touché...
Je décide de me lancer, de le questionner mais il se détourne et entame l'ascension du mont.
Ma bouche se referme sans avoir émis le moindre son et je le suis.
La colline n'est pas vraiment dure à gravir, par contre, le silence installé entre nous est tellement pesant que même l'atmosphère qui nous entoure semble alourdie. J'ai l'impression qu'on me compresse la poitrine, m'empêchant volontairement de respirer.
C'est simplement insupportable.

Après plusieurs longues minutes qui m'ont semblées des heures interminables, on atteint le sommet de Matiel dans un silence de plomb.

Je ne sais pas quoi faire ou quoi dire mais Brandon semble s'animer un peu.

- Ha, on arrive juste à temps, regarde. Me dit-il en pointant l'horizon du doigt.

Le soleil s'est décidé à faire son apparition et nous offre un spectacle impressionnant, chassant les ombres avec une troublante efficacité. Le ciel qui jusque là ne dévoilait que du noir d'encre se teintait maintenant d'orange et de violet avec un peu de pourpre.
Il y a des nuages longs et fins par-ci par-là mais l'étendue céleste est plutôt dégagée et le résultat est stupéfiant. L'aube est un spectacle presque magique.
Tout aurait pu être parfait si des larmes ne glissaient pas sur les joues de mon meilleur ami.
Son regard est perdu, par delà la falaise alors qu'il déverse sa tristesse en silence.
Je lui prends la main, le tirant vers moi pour enfin lui tirer les vers du nez. Ses yeux sont un océan de douleur qui me percute de plein fouet. Jusqu'à maintenant je n'ai pas réussi à dire quoique ce soit et je commence à me trouver inutile au possible.

- Bran je...

- Kathy tu sais...

On a parlé en même temps et je suis toute gênée alors il reprend.

- Kathy tu sais, tu es la personne qui compte le plus pour moi. Tu es la seule en fait...
Je sais bien que ce n'est pas réciproque, je ne suis qu'un ami pour toi, mais je voulais que tu le saches avant...

Avant quoi? J'ai envie de lui demander mais rien ne sors. Je crois que je suis sous le choc.

- Kathy, je t'aime.

Et moi je crois que je vais définitivement tomber dans les pommes. Je suis tétanisée.
Mais quelque chose ne va pas, une sorte d'alarme rugit dans mon esprit. Ce que j'attendais tant à un arrière goût amer, âcre et très désagréable.

- Je voulais quand même qu'on sache où je suis passé quoique peut-être que tout le monde s'en fout. Peut-être que j'avais juste peur d'être seul encore une fois. Peut-être que je voulais graver ta merveilleuse image en moi une dernière fois. Je ne sais pas trop. Peut-être un peu de tout ça à la fois.
Kat je suis désolé.

Au fur et à mesure qu'il parle, il se rapproche du bord de la falaise.
Mais pourquoi ? Que fait-il ?
L'alarme dans ma tête est stridente et mon corps, après avoir reçu une décharge d'adrénaline, se met enfin en action quand celui de Brandon se lâche dans le précipice.

- Bran mais qu'est-ce que tu fabriques bon sang?

Je suis étalée sur le sol rugueux de la montagne et je pense que je me suis égratignée plusieurs parties du corps mais je m'en fiche parce que j'ai réussi à attraper in extremis le bras de mon ami.
Son corps suspendu au dessus du vide tire le mien vers la chute. Nous tenons uniquement grâce à mon pied qui s'est coincé derrière une petite roche. Maigre consolation, je sais que cette solution est temporaire. La pierre ne va pas soutenir nos deux poids combinés bien longtemps.

- Kat, kat lâche-moi s'il te plaît. Je ne veux pas que tu tombes avec moi. Murmure-t-il alors que je pleure toutes les larmes de mon corps.

- Pourquoi m'avoir emmenée ici alors? Pourquoi vouloir que j'assiste à ta mort? Que j'y participe? Je lui crie tant la douleur et l'énervement sont insupportables.
Pourquoi? Pourquoi vouloir me quitter? N'as-tu pas vu combien je t'aimais? Combien je t'aime?

Ça y est, les mots que je redoutais sont finalement sortis. Mais quelles malheureuses circonstances! Dans ma tête, un tout autre scénario se déroulait au moment où je me décidais enfin à tout déballer.
Au lieu de ça je m'accroche autant que possible à son bras, me faisant la plus lourde possible sur le sol, essayant de le tirer vers le haut, en sécurité auprès de moi. C'est peine perdue et j'aggrave même la situation car je ne le retiens plus que par la main.

Pourtant, dans ses yeux je vois passer la surprise puis le soulagement. Et ensuite, une lueur de détermination éclaire son regard alors que la pierre qui nous soutenait cède et que nos corps basculent dans le vide.

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Ça faisait longtemps que je n'avais pas écrit juste pour moi, sans raison particulière et sans contraintes. J'espère que ça vous a plu.
Je profite pour vous dire qu'en ce moment MiladyCoulter fait un concours très intéressant dans son livre À vos plumes où il faut écrire un texte axé sur l'antagoniste d'une de nos histoires. N'hésitez pas à faire un tour en tant que lecteur ou auteur.
Biz 😘

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