29. Les sushis sont cuits

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1er septembre 2016 (midi)

Vu de l'extérieur, le Sushi Two avait l'air d'un resto normal. Un panneau orné d'idéogrammes, une terrasse avec vue sur la caserne des pompiers, des serveurs typés asiatiques qui racolent les passants.

Vu de l'intérieur, le Sushi Two avait tout autant l'air normal. L'ambiance était zen, avec du mobilier noir, des tableaux représentant des bambous, des orchidées ou des bouddha. C'était paisible et décontracté, mais pas très chaleureux. Manger ici, sans Gabriel, ne me disait plus rien, au final.

Du regard, j'ai cherché des indices, des trucs louches, des têtes patibulaires, des gens qui me regardaient de travers. Rien. Juste un resto normal. Je me suis alors avancée vers la serveuse derrière son comptoir et je lui ai montré la carte de visite qu'on avait laissée sur mon palier. Tout ce qu'elle a pu me dire, c'est que cette carte était périmée et ne me donnait droit à aucune réduction. Dépitée, je n'ai même pas réussi à refuser son invitation à prendre une table (au bout du sixième "vous voulez une table pour combien de personnes ?" je ne sais pas si on parle encore d'invitation).

Cachée par le menu que m'avait donné la serveuse, j'ai observé plus attentivement les tables autour de moi et je me suis sentie mal à l'aise. Tout le monde était venu à deux, trois ou plus. Et moi, j'étais seule. J'ai toujours trouvé qu'il n'y a rien de plus horrible, comme sensation, que d'être seule dans un endroit où personne ne l'est. Ça aurait été tellement moins gênant que Gab soit là !

J'ai essayé de lire la carte pour essayer d'oublier ça. Il y avait un choix vertigineux de sushis, makis, rolls et compagnie. Mais les neuf euros cinquante que j'avais dans mon porte-monnaie, ne me donnait droit qu'à une soupe miso et huit makis. Autrement dit : j'allais mourir de faim ! Je me suis dit que j'allais partir discrètement sans rien commander, mais la serveuse, comme plantée en embuscade, est arrivé pile à ce moment-là et j'ai pas osé lui dire que je ne voulais rien. J'ai commandé les trucs les moins chers en maudissant mon manque d'affirmation maladif.

Après le départ de la serveuse, j'ai vérifié pour la cinquantième fois si Gabriel ne m'avait pas envoyé un message. Mais non, toujours rien. Il était peut-être vraiment fâché...

Je n'ai pas eu le temps de me lamenter là-dessus, car j'ai senti du mouvement. Un vieux venait de s'asseoir en face de moi. C'était pas un papy, mais avec ses cheveux gris, sa barbe blanche et les rides qui plissaient son visage bronzé, il paraissait plus vieux qu'il ne devait l'être réellement. Il portait un grand imperméable gris tout élimé, rapiécé aux manches, et il empestait tellement l'aftershave que je m'étonne encore de ne pas l'avoir senti arriver avant qu'il ne soit assis à ma table. J'avais l'impression de l'avoir déjà vu, mais impossible de me souvenir où.

Ses yeux gris-bleus m'ont détaillé pendant quelques instants. Moi, je ne disais rien, me préparant au pire, et essayant d'imaginer comment j'allais pouvoir sortir mon pot de Nutella de mon sac si jamais il s'agissait d'un vieux pervers.

Il a fini par sourire.

— Tu en as mis du temps...

— Pardon ?

— Pour venir jusqu'ici. Ça m'aurait arrangé que tu arrives plus tôt, mais mieux vaut tard que jamais...

— Vous... vous m'attendiez ici ? ai-je articulé.

— Quoi ? Tu crois que je squatte ici en attendant ta venue depuis tout ce temps ? T'es un peu égocentrique, non ? On t'a jamais dit ?

Je n'ai pas relevé l'insulte et j'ai essayé de comprendre ce qu'il me voulait. Est-ce que c'était lui le livreur de sushis ?!

Nutella Girl [En Pause]Where stories live. Discover now