Chapitre 3 Les Aïdems (1ère partie)

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          Un vieil homme vêtu d'une tunique aussi bleue que le ciel montait une colline au chemin de terre parsemé de roches immaculées, et de grands pins aux aiguilles douces et à l'odeur enivrante.

          Il marchait à l'aide d'un long bâton tressé de branches et de rubis étincelants. Dans ses yeux pâles, une certaine détermination, mêlée de confiance solennelle, les faisait briller. Ses cheveux, un métissage de blond et de châtain avec quelques mèches grisonnantes et blanches, volaient tranquillement dans la brise tiède. À l'extrémité de son sceptre, deux dragons crachaient du feu tout en se faisant face.

           Il déboucha dans une forêt de chêne en pleine activité. Il regarda dans la vallée et un sourire éclaira son visage, il se remit en marche.

           Dans les cimes des arbres, des écureuils se pourchassaient sans relâche. Les oiseaux piaffaient de plaisir en concert et fredonnaient avec joie des mélodies entraînantes qui égayaient les journées des habitants de cette forêt.

           Le sol vert, comme les champs où les vaches laitières célèbrent un festin de roi, parsemait un état de bien-être.

           Des petites personnes sillonnaient cette mer végétale, chargées de provisions. Certaines poussaient des charrettes, tandis que d'autres conduisaient des carrioles occupées par le poids de bétail abondant ou de légumes anormalement gros, tels que des citrouilles.

           De chaque côté des allées, une barrière faite de rameaux entrelacés délimitait chaque propriété. D'immenses arbres aux jardins remplis de fleurs éclatantes grandissaient dans la sérénité du lieu. Au milieu de leur tronc se trouvaient des cabanes en bois de toute forme et dimension. Carrées, rondes, triangulaires, octogonales, toutes étaient perchées dans les cimes de la forêt et possédaient une vue remarquable.

           En dépit de la hauteur qui pourrait donner sans peine le vertige, les maisons se discernaient aisément entre les branches abondantes, grâce aux différentes couleurs qui cachaient quelque peu la teinte originelle. Du rouge, du vert, du jaune... tous ces pigments de peinture rendaient ce bois accueillant et harmonieux où la paix régnait, allié au peuple qui y vivait.

           L'homme s'arrêta en face d'un imposant panneau en chanlatte. Une inscription gravée en albâtre indiquait en toutes lettres : « Bienvenue à Blimane. Territoire des Aïdems ». Des petites personnes de trois pieds en moyenne arpentaient cette forêt. Leurs visages aux joues roses criaient des ordres ou riaient à gorge déployée. Leurs pommettes étaient constellées de délicats points blancs lumineux. Leurs larges yeux clignaient rarement. Des cheveux bouclés encadraient leur figure légèrement enfantine pour des adultes. Mais ce qui les différenciaient radicalement des humains étaient leurs oreilles triangulaires, dépassant de leurs crânes. Elles s'agitaient au contact de leurs mèches, de l'air et tout ce qui les frôlait. Cependant, leur ouïe d'une finesse exemplaire permettait de capter des sons à très basse intensité.

           Vêtus de pantalons courts en tissus colorés, ils slalomaient devant le personnage. Leur cou pratiquement inexistant se tordait pour apercevoir le visage de l'étranger déjà grand : presque six pieds. Certains le regardaient d'un mauvais œil, car voir un être extérieur à Blimane était inattendu et cela voulait dire le plus souvent que quelque chose de mal allait se produire. Et surtout, c'était contraire à leurs habitudes de vie bien douillette et cultivatrice.

           En effet, les aïdems s'illustrent comme un peuple pacifique, qui ne se préoccupe guère des affaires des divers Royaumes en Entre-Monde. Ce sont des personnes calmes et qui restent entre elles. Les aïdems n'apprécient point les inconnus, qu'ils soient Elfes, Humains, Nains, Griffons ou autres.

           Mais le vieillard, tout en sachant tout cela, les regardait avec bienveillance, aller et venir, les bras chargés de fruits et de légumes brillants, à la chair abondante et aux jus généreux. Plusieurs fois, des enfants se prirent dans ses jambes, puis continuaient en riant et chassant les papillons, tout en gênant les adultes.

          L'homme se tourna vers un éminent arbre à l'écorce grisonnante. En haut se trouvait une modeste maison rouge-écarlate. Son toit triangulaire descendait et se relevait légèrement en bas.

           Il ouvrit un portillon en bois clair sculpté en châtaignier. L'herbe grasse semblait accueillir le visiteur en délicatesse. Il toqua à l'aide de sa grande canne sur le tronc aux racines ancrées profondément dans la terre. Un petit être sortit sa tête de la cabane. Il regarda au sol et de sa main d'enfant, lui fit signe d'entrer. Le vieillard commença à monter péniblement l'échelle en rondins, clouée au bois. Il arriva en haut, essoufflé, et observa plus attentivement la maison.

           Cette dernière s'étendait sur deux étages avec des fenêtres de toutes tailles, colorés de vitraux. Le perron s'ouvrait sur une porte où deux arbres s'enlaçaient. L'homme dû se baisser pour s'engager dans la chaumine. Au centre de la pièce, le tronc s'élevait et continuait sa course à travers la charpente aux poutres bien arrondies. Un meuble cylindrique aux pierres apparentes avec des placards de rangement l'entourait.

           La cheminée flambait en dessous de l'escalier, à la balustrade verticale en bois tressé, qui menait à l'étage. Un mobilier à moitié rectangulaire prenait place contre la plus grande fenêtre de la maison en donnant au salon un espace lumineux et léger. Sur la surface plane, des coussins garance et cerise créaient un recoin douillet. Des rayons de livres s'étalaient de chaque côté. Des petites armoires s'étaient logées entre les dizaines de vitres exiguës que contenait cette cabane.

           Un meuble était ouvert tout en hauteur. Ses tiroirs se dépliaient en éventail et le fond en velours pourpre brillait d'un soin fraîchement appliqué. Une étagère était sculptée en lune et des parchemins jaunis s'y entassaient. Une courte trappe était tirée où une plume sur un livre semblait attendre le retour de son écrivain. L'homme se contorsionna un peu afin de voir la grande mezzanine. Une petite échelle rejoignait un lit en hauteur habillé d'une épaisse couverture de fourrure.

           Dans le fond du couloir, il repéra une silhouette noire trapue qui portait des objets dans les mains. Il s'avança dans le passage sombre et étroit par rapport au salon accueillant. Une feuille volante dépassait d'une chambre et le vieillard regarda à l'intérieur, d'un œil discret. La pièce était saturée de livres qui s'entreposaient dans des bibliothèques et à même le sol. Deux encadrements de portes s'ouvraient sur un cabinet comblé, lui aussi, de manuscrits. L'individu sourit et s'écarta du rayonnage plongé dans une obscurité claire.

           En rejoignant le propriétaire de la maison, sa tête se tourna à gauche et découvrit un vitrail représentant du lierre. Le paysage imprenable sur la forêt et ses cabanes colorées s'apercevait derrière. L'homme entra dans la cuisine aux placards gravés de cerfs et d'arbre.

           Le petit s'affairait à sortir d'un buffet en chêne sculpté des récipients décoré de branches. Il y servit, dans la porcelaine blanche, une substance rose orangé. Le grand s'assied sur une des seize chaises qui entouraient la table en forme de feuille. Ses nervures claires, finement taillées, contrastaient avec le bois foncé du plan de travail. Les pieds du meuble étaient fixés au plancher et se mouvaient vers les armoires de cuisine comme des racines vivantes.

           L'être prit fébrilement une tasse dans ses mains et en but de longues gorgées. L'homme l'examinait en fronçant les sourcils. La bienveillance de son regard s'était changée en une inquiétude dévorante. Il releva la tête vers le plafond. Un tronc d'arbre y était suspendu où les branches descendaient avec des bougies éteintes pour l'instant.

Entre-Monde - L'envolée des Ténèbres [En Correction]Onde histórias criam vida. Descubra agora