Chapitre 5 Le Miroir (2ème partie)

49 16 16
                                    

           Rudilis était muni d'un bâton avec un socle aux pierres bleutées. Une émeraude se trouvait au milieu de ces pierres précieuses. Le sceptre s'illumina d'une blancheur éclatante quand il toucha la surface violette dans l'arc. Une image apparut dans l'eau.

           Un arbre aux longues branches touchant terre suivi de deux silhouettes floues, émergèrent peu à peu dans la voûte. La représentation devint enfin nette comme un miroir. Un elfe en armure baignait dans une flaque de sang. Et une enfant à genoux étreignait sa blessure. Ses cheveux rouges et ondulés trempaient dans l'étendue écarlate. Ses yeux étaient fermés et son minois était tourné vers le ciel. Soudain, il tomba à terre, son visage en face des pieds du soldat.


— Après cette scène, vous avez procédé à un autre châtiment, déclara Rudilis.

          Une image estompée se révéla au centre de l'arc. C'était une pièce sombre, vide comme un cœur de pierre. Ce n'était qu'une illusion, mais la sensation du froid mordant de cette alcôve se faisait ressentir aux ténèbres palpables. Aucune lumière n'était visible, pourtant, une silhouette était quasiment encrée dans les dalles du sol et du mur noirâtre. Tout ce qu'on devinait, c'était une longue chevelure et un petit corps tout maigre.

— Une semaine entière dans un cachot, sans boire, ni manger. Seul le néant comme compagnie. Le pire, c'est qu'après cette huitaine de réclusions, vous l'avez oubliée ! Je me tenais en compagnie d'Aldaron à ce moment-là, expliqua le Magicien de Lumière.

— Le Prince des Elfes Verts ? Pour quelle raison se trouvait-il à Elfira ? Pourquoi n'ai-je pas été prévenu ? s'indigna Quvhalion.

— N'êtes-vous pas le Roi d'Elfira ?

Il n'attendit pas la réponse.


           La cellule s'effaça en un tourbillon et une onde créa un lieu différent brun et doré. Rudilis parlait à un elfe aux longs cheveux noirs étincelants malgré le peu de lumière.

           Sa peau pèche soulignait sa beauté fulgurante. Il était vêtu d'une tunique blanche cassée. Une armure à la couleur olive recouvrait le profil droit de son corps. Des ceintures barraient en croix l'autre côté. Il était muni d'un arc en fer sculpté et d'un carquois accroché à son dos. Ses bras, de son poignet à son coude, portaient des bandages. Des gants noirs affinaient ce corps svelte.

           Les deux personnes passèrent sous des voûtes et s'arrêtèrent devant la dernière cellule du corridor muet. Là, le visage de Rudilis se plissa. Son sceptre inonda de lumière le cachot. Une forme sombre s'y trouvait comme celui de la deuxième image.

           L'enfant était allongé sur le sol, tournant le dos aux duos. Les hommes se pétrifièrent un moment. L'elfe brisa la chaîne et le verrou de la porte pour s'engouffrer dans la geôle. Il retourna l'individu pour voir le visage du prisonnier. Ses longs cheveux rouges, devenus noirs et sales, contrastaient avec sa peau blanche comme la mort.

           Aldaron le prit dans ses bras. On aurait dit qu'il tenait contre lui le cadavre vivant d'un animal. Il posa sa main sur le front de l'enfant et murmura des mots. Mais rien ne changea son état.

           La représentation s'effaça en fluctuant. L'intérieur de l'arc retrouva son violet et, comme la surface de l'eau, ondula.


           — Aldaron l'a soulevé complètement épouvanté, continua Rudilis. Ses yeux lilas regardaient le corps sans vie. Quand il a posé sa main sur son front pour le guérir, c'était comme s'il refusait le soin qu'il voulait lui donner. Après ce rejet, un rayonnement éclatant nous a tous les trois enveloppés. Cette lumière qui semblait provenir de lui, je l'avais vu apparaître sous la forme d'un minuscule flocon qui était entré par la porte de la cellule. Et, nous savons tous les deux très bien, Quvhalion, qui possède une magie sous cette forme. Nous nous sommes sentis transportés, comme si nous ne connaîtrions plus la maladie.

Les nuages de Rudilis se teintèrent de vert en signe de fraîcheur.

— Depuis, je n'ai plus de rhumatismes. J'ai l'impression d'avoir récupéré mon jeune âge. Et ce qui est encore mieux, c'est qu'ils ne sont toujours pas revenus, rit légèrement le Magicien de Lumière. Mais redevenons sérieux. Quvhalion, vous rendez-vous compte que vous avez, à peu de chose près, tué un petit être ?

— Cela n'aurait pas constitué une grande perte, marmonna le Roi au visage tourné vers un rosier au-dessus de l'architecture en cercle.

— Vous me dégoûtez ! cracha le magicien aux nuages qui avaient pris une couleur rouge sang.

L'elfe blanc se recroquevilla malgré tout.

— N'avez-vous donc aucun cœur ? Ce n'est pas votre enfant, c'est vrai, mais il a quitté, il y a peu de temps, l'état de nourrisson. Je n'ai pas de mots assez fort pour qualifier votre acte impardonnable, surtout d'un seigneur tel que vous. Les Elfes Blancs ne figurent-ils pas, normalement, dans les êtres les plus sages de l'Entre-Monde ? Je n'imagine même pas les agissements des karals si même des Royaumes aussi bien veillants que le vôtre possèdent de pareilles pensées obtuses.

Le magicien se détourna du Roi d'Elfira. Il marcha sur les pétales de cuivre vacillants et monta vers l'arc aux vitraux colorés. Et tout doucement, il entra dans le fond mauve où des tentacules à l'aspect de fumée blanchâtre l'engloutirent.

— Et où se trouve-t-il maintenant ? questionna Quvhalion en se retournant à moitié pour regarder Rudilis avant qu'il disparaisse dans l'ogive.

— Quelque part. Mais je peux vous certifier qu'il est crucial que le lieu doit rester secret. Comme l'avenir, répondit l'homme nuageux.

          La vapeur enveloppa complètement le corps de Rudilis et devint fantomatique dans l'onde violette. L'arc recouvrit sa limpidité comme un voile qui fuyait sous la brise.

           Les cordes musicales reprirent leur musique où personne ne pouvait les entendre, car toute vie s'était absentée de ce lieu baigné par la clarté du ciel assombri.

Entre-Monde - L'envolée des Ténèbres [En Correction]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant