Chapitre 9 Litanie de souffrance

63 11 60
                                    

          Si ça n'avait tenu qu'à moi, je me serais battue bien plus longtemps. Je n'étais qu'une faible humaine, gratifiée d'une force d'oiseau. J'avais passé trop de saisons à regarder les soldats et à tenter de les imiter. J'aurais dû quitter ce monde, soi-disant, de confort et de protection.

           Mais si je cédais à la mort, je donnais la possibilité à l'ombre de m'effacer. Je ne devais pas abandonner. Je n'avais pas eu le cran de m'opposer à ceux qui me dictaient leur loi. J'avais dû me conformer à une existence qui ne me correspondait pas. Aujourd'hui, la vague m'avait calquée en une parfaite petite princesse, à l'âme pure et ignorante, sans que je m'en aperçoive. J'avais laissé l'Entre-Monde écrire mon histoire, me façonner comme il le souhaitait.

           Et pourtant, une voix étouffée, comme enfermée dans une boîte exiguë, me disait de poursuivre, de reprendre la plume de ma vie. Les ténèbres dévoraient mon esprit. Je voulais tuer ceux qui m'avaient torturée et peu m'importait la raison de cette haine dont j'étais victime. J'avais, déjà, perdu bien trop de temps à trouver une explication.

           Le désir d'en finir me saisit subitement. Je compris que cette chose allait m'éradiquer de la population Entre-Mondienne. Je ne laisserai, donc, aucune trace de mon passage en ce monde. Mon dernier espoir s'envola comme une plume dans l'air. Ce que j'avais vécu se reproduisait dans ma mort lente. Cela ressemblait à une farce de très mauvais goût.

           Mon corps se battait pour éloigner la souffrance. Il refusait que le précipice l'aspire. Les sensations de l'existence en devenaient confuses. L'irréel subsistait dans la couleur noire. Mes connaissances disparaissaient dans un puits sans fond. Le réel, lui, survivait dans le rouge.

           Je savais que mon sang s'écoulait doucement. Si j'ouvrais les yeux, la lumière ruinerait mes dernières cellules rescapées. Je vivais dans un océan de souffrance, essayant de reprendre le contrôle de mon esprit. Mon corps avait décidé de mener le combat contre cette chose qui me pénétrait tel un cataclysme. Je ne pouvais que l'aider dans sa bataille.

           Je m'efforçais de traduire les deux univers, la réalité et ma mort précoce, qui tournaient à une vitesse inhumaine autour de moi. Cette douleur insolite me tordait dans tous les sens alors que je savais que mon corps ne communiquait plus avec mon cerveau.

           Intérieurement, je suppliais mon enveloppe charnelle de cesser la révolte, car je subissais une litanie de souffrance qui aurait dû me neutraliser depuis longtemps. Les déchirures de mes muscles. Les brisures de mes os. Le feu submergeait mes nerfs, mes veines et sa vague déferlait dans tous les espaces qui continuaient la résistance face au mal.

           Pendant un moment, je crus que la noirceur avait gagné et que j'allais pouvoir me retirer de ce monde qui ne m'avait pas désiré. Mais l'obscurité, noyée par un énième flux de supplice indescriptible, semblait subir une contre-attaque de la part des forces de mon corps.

           Je n'avais plus aucune emprise. Ce que j'avais été s'éparpillait en minuscules morceaux morts. Je suffoquais et l'agonie trouva, tout de même, une nouvelle entrée pour ressurgir dans mes entrailles et les empoisonner comme elle avait fait avec le reste. Le peu d'air que j'avais pu garder, me brûlait l'intérieur de la gorge dès que je cherchais à inspirer ou à expirer. Le néant m'aspirait, inexorablement. L'incendie qui me dévorait multiplia son acharnement pour me glisser dans l'oubli.

           Mes dernières forces de penser librement s'adressèrent à ma détermination. Ma rébellion. Ma fougue. Mon entêtement. Ma haine. Ma colère. Ma vengeance. Ses sentiments ravageurs avaient perdu de leur intensité et attendaient que je retrouve leur chemin. Mais leur présence palpable me rassurait et je refis surface. Je me forçais, alors, à apprécier chaque moment qui me mettait à feu et à sang, et qui entaillait mes veines en les dégustant comme un verre de vin de vigueur.

Entre-Monde - L'envolée des Ténèbres [En Correction]Where stories live. Discover now