Chapitre 18 L'atout de la différence (2ème partie)

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           Un cheval, à la robe grise, marchait difficilement sur un chemin, transformé en une rivière de boue. La pluie rendait ses poils lourds. Le pauvre animal glissait sur la pente, qu'il tentait d'emprunter. Ses sabots aspergeaient sa toison. Le déluge redoublait d'intensité au fur et à mesure du temps qui s'effilait. L'équidé atteignit, enfin, le sommet du sentier et s'immobilisa en expirant bruyamment par les naseaux. Il baissa ses oreilles vers son front et reprit la route. Un sac en toile était sur son dos, attaché à l'aide de cordes. Un cheval, plus élancé, à la robe alezan, passa à côté. Il portait un homme qui sifflotait gaiement.

— Il pleut et le vent souffle fort. Un merveilleux temps pour se lever tôt, déclara-t-il.

À l'aide d'un grand bâton, il donna des coups dans une branche, garnie de pommes, légèrement pourries. Les fruits tombèrent sur le sac, qui se mit à bouger. Le pauvre cheval se cabra et fit chuter le poids de son dos. Une flaque de boue accueillit la hotte. L'homme sourit, et arrêta sa monture.

— Les aïdems sont pourtant un peuple qui se lève tôt, mais quand vous somnolez ce n'est pas pour faire semblant.

Une tête ronde sortit de la musette. Une paire d'oreilles triangulaires étaient rabattues sur ses cheveux trempés et crasseux.

— Bien dormi ?

— Githrandiar ! hurla l'aïdem qui se tordait afin de se libérer du sac. Comment as-tu osé ?

— J'ai réfléchi et j'ai décidé que tu viendrais avec moi, sans ton accord. Tu as toujours voulu vivre une aventure et je t'en offre l'occasion.

— Tu sais très bien que je ne peux pas. Je ne me serais posé aucune question si j'avais été plus jeune. C'était insupportable de demeurer à Blimane où chaque jour se ressemblait et l'ennui devenait irrespirable. J'écrivais mes rêves et ma colère sur des feuilles volantes, que je jetais dans les rivières, en espérant que quelqu'un me lirait et me sortirait de cette prison. Je sais maintenant que ce n'était qu'un songe fou. Déjà, à cause de l'eau qui effaçait l'encre des pages. Mes pensées s'avéraient indéchiffrables et parce qu'on n'est jamais mieux servi que par soi-même. J'aurais dû partir tout seul, au lieu d'attendre un miracle. Mais n'est-ce pas une preuve qu'en réalité, je n'étais pas si malheureux que je le croyais ?

— Tu avais peur.

— Non. Je n'en avais pas le courage. On dit que le courage et la peur vont ensemble, mais ce n'est pas tout à fait vrai. Je n'avais pas l'audace de réaliser mes rêves et de prendre mon avenir en main. J'avais un peu de crainte bien sûr. Mais je ne me sentais pas prêt. Peut-être que je n'avais pas envie de partir.

           « Durant toute ma vie, je me suis menti. Je ne suis capable qu'à être un aïdem. Tu voudrais que je représente une énième pièce de puzzle qui constitue la Famille Hornblower, mais je ne suis qu'une erreur, une fabulation, un mensonge de plus.

           « Tout le monde trouve sa place autour de moi, mais je suis le dernier à rester au milieu de la ronde, à attendre qu'un espace s'ouvre. Pourtant, de nombreuses brèches se sont formées, mais je n'ai pas eu le courage d'y entrer. Ce n'était pas la frayeur. Au fond de moi, je sais que je ne croiserais rien. Je suis condamné à être une de ces âmes qui m'éternise le soir pour rêver d'une réalité qui ne m'appartient pas.

          « Je n'ai pas de bravoure, mais je n'ai pas non plus peur. La vaillance de mon enfance m'a quitté et j'ai cessé d'écouter mon être. C'est trop tard. Je me suis bloqué moi-même.

           « Maintenant, je mène une vie d'aïdem et elle est devenue mon point d'ancrage. Mon seul but. C'est même plaisant de jouer un rôle qui n'est pas moi. Je suis si bon acteur, que j'ai réussi à me convaincre de mon bonheur. Je ne supporte pas le regard d'autrui. Mes désirs nécessitaient un choix. Les Hornblowers ou l'idéologie aïdemienne ? J'ai laissé les autres décider pour moi et me transformer. Si l'enfant que j'étais se trouvait face à moi, je lui dirais d'être courageux, car il en aura besoin pour son futur, mais ma vie est ainsi. Je ne suis rien. J'ignore toujours en quoi consiste ta mission, mais je suis un aïdem, accoutumé à une routine mortuaire. Laisse-moi revenir à Blimane. Ça sera mieux pour tout le monde.

Entre-Monde - L'envolée des Ténèbres [En Correction]Where stories live. Discover now